Les News
Novembre 2017
1/1 Incendies de forêt et changement climatique
Yves Dandonneau
Des incendies
ravageurs en Californie, en Espagne, au Portugal, avec de nombreuses
victimes : cette première quinzaine d'octobre 2017 paraît exceptionnelle. Elle
suit de peu une série mouvementée de cyclones dans l'Atlantique tropical, pour
lesquels le rôle amplificateur du changement climatique a été évoqué. Pour les
incendies, il semble naturel aussi de s'interroger sur son rôle possible.
En effet, le déclenchement et la progression des incendies de forêt sont
favorisés par une végétation sèche, surtout si celle-ci est abondante. Or, avec
le réchauffement climatique, les conditions qui favorisent les incendies
tendent à se renforcer.
D'une part, selon le 5e rapport du GIEC, on observe une
tendance à l'augmentation du risque d'épisodes de sécheresse et de leur
durée dans les climats de type méditerranéen.
D'autre part, on observe aussi une hausse des températures et un risque
accru de canicule.
Sous cette double influence, la végétation subit des pertes en eau qui peuvent
entraîner la dessiccation du feuillage, voire son
dépérissement. Certaines forêts offrent alors, répartie sur plusieurs
mètres de hauteur, une abondante biomasse inflammable dans laquelle le feu se
propage très vite et devient très difficile à arrêter. Ceci, certainement, a
favorisé les récents incendies qui ont frappé la Californie, le sud de la
France, le Portugal, l'Espagne, et la Grèce.
En Californie, une
étude récente a montré que le changement climatique dû aux
activités humaines était responsable de la moité des dégâts causés par les
incendies de ces dernières années, et a aussi montré que chaleur et
sécheresse ne suffisaient pas à expliquer l'ampleur des feux : les pluies
d'hiver y ont aussi favorisé une croissance exubérante des plantes herbacées
qui, devenues sèches en été, ont constitué le carburant très inflammable grâce
auquel le feu s'est propagé très vite.
Ces conditions sont régulièrement remplies sous les climats tropicaux où une
saison sèche alterne avec une saison des pluies, comme dans les savanes
africaines où les feux de brousse annuels étaient une pratique pastorale. À
l'inverse, on voit bien que les régions semi-arides ne sont pas touchées par de
grands incendies. Le déclenchement des incendies dépend donc d'un dosage adapté
de chaleur, de sécheresse, et de croissance végétale, conditions sur lesquelles
le changement climatique influe de manière différente selon les régions
considérées.
Annuler le changement climatique, si c'était possible, ne résoudrait donc pas partout uniformément le risque : le développement des villes et des infrastructures, l'extension des zones habitées, sont une autre cause, très importante, de l'augmentation du risque d'incendies de forêts, en multipliant les départs de feu, accidentels ou criminels. Notons aussi que l'éparpillement d'habitations en milieux sensibles cause davantage de victimes.
S'organiser pour mieux faire face à cette menace est donc
nécessaire. Ceci passe par une gestion adaptée des forêts, en
utilisant des moyens tels que le choix d'espèces plus résistantes à la
sécheresse et moins propices à la propagation des feux (à ce titre, l'abondance
des plantations d'eucalyptus au Portugal a été un facteur aggravant), le
nettoyage des sous-bois, la pratique de contre-feux, l'aménagement de
coupe-feux et de systèmes de surveillance. Grâce à de telles mesures, quoi
qu'en laisse penser la profusion d'information, force est de reconnaître
qu'autrefois, les incendies ravageaient des étendues souvent plus grandes
qu'aujourd'hui. Ainsi, le risque d'incendie dans la forêt des Landes n'a pas
disparu, mais le terrible incendie de 1949 qui avait tué 82 personnes ne s'y
est pas reproduit depuis la mise en place d'aménagements appropriés.
Il sera cependant difficile de supprimer tous les risques. En particulier, les
zones de montagne sont et resteront très difficiles à protéger, en raison des
difficultés d'intervention et de la vitesse à laquelle le feu peut s'y
propager.
Dans un livre récent, «Firestorm - How Wildfire Will Shape Our
Future», Edward Struzik analyse
l'évolution du risque d'incendie, ses causes et ses remèdes. De façon
inattendue, il fait remarquer qu'en l'absence de toute mesure prise pour
limiter le risque, aucun responsable ne sera désigné si un incendie survient.
Au contraire, celui qui mettra en application des mesures de précaution risque,
après un incendie, de voir son action critiquée. Ceci encourage à considérer
ces catastrophes comme une sorte de fatalité et favorise l'inaction. Compte
tenu de l'omniprésence de l'homme dans tous les milieux, de l'accroissement des
risques de sécheresse dans certaines régions du globe, et de la difficulté à
réduire les risques d'incendies de forêt, il est probable que ceux-ci
persisteront, avec leur cortège de dévastations et de victimes.
Il est une autre conséquence de ces incendies dont on a peu parlé en cette fin d'été 2017 : il s'agit des émissions de gaz carbonique auxquelles ils donnent lieu. L'agence américaine NASA a récemment observé que l'événement El Niño de 2015-2016 avait entraîné une sécheresse exceptionnelle en Indonésie à la suite de laquelle s'étaient développés des feux de forêt gigantesques, qui sont une des causes de l'accroissement de 3 ppm de la concentration en gaz carbonique de l'atmosphère en 2016, au lieu des 2 ppm environ observés chaque année au rythme de nos émissions actuelles. C'est ce qui s'était passé aussi avec la même conséquence à la suite des El Niño de 1982-1983, et de 1997-1998.
Mais c'est surtout aux hautes latitudes que cette menace est inquiétante. D'immenses espaces de forêt brûlent dans l'ouest du Canada, où une pullulation d'insectes mangeurs de bois a causé la mort de très nombreux arbres qui, dans un contexte de sécheresse persistante, alimentent des feux qui se propagent dans des régions peu habitées.
Plus préoccupant encore est
l'incendie qui s'est développé au Groenland en 2017 : celui-ci,
qu'incontestablement on peut imputer à la sécheresse et à une température
exceptionnellement élevée, ne brûle pas seulement la végétation, qui y est rase
et rabougrie. Il se développe dans l'immense réservoir de carbone qu'y
constituent les tourbières. Or, la matière organique de la végétation terrestre
et des sols apparaît comme le principal réservoir dans lequel l'homme puisse
ré-enfouir à moindre coût une part importante du carbone qu'il a émis depuis le
début de l'ère industrielle (agir sur l'autre réservoir important qu'est
l'océan est en effet hors de portée). Le réchauffement du climat tend à éroder
ce réservoir, car plus la température est élevée, plus cette matière organique
s'oxyde rapidement. C'est pourtant ce réservoir qui est considéré comme le seul
capable de recevoir l'excèdent de gaz carbonique de l'atmosphère qui est la
cause du réchauffement climatique. Encore faut-il le préserver. Il est donc
inquiétant de voir les forêts renvoyer dans l'atmosphère lors des incendies le
gaz carbonique qu'elles avaient préalablement fixé par photosynthèse.