Menu déroulant

Les News

Février 2016

2/2 L’année climatique 2015 - L’année la plus chaude de l’époque moderne.

Bruno Voituriez et Yves Dandonneau

Sous le signe d’El Niño

Au début de 2014 fut annoncé (on n’ose plus dire prédit) pour le second semestre de l’année un phénomène El Niño qui se déroba au grand dam des scientifiques qui, l’ayant annoncé, attendaient évidemment sa venue.
En 2015, sobriété des annonces, on se contenta d’en suivre l’évolution et son épanouissement à partir du mois mai et tout au long de l’année. Phénomène de grande amplitude en tout point comparable à l’évènement de 1997-1998 resté dans toutes les mémoires comme l’El Niño du siècle magnifiquement illustré par les mesures altimétriques du satellite Topex-Poseidon lancé en 1992 . (figure 1)

ln Nino 1997 versus 2015

Comparaison des El Niños 1997/1998 et 2015/2016. Anomalies du niveau de la mer mesurées par Topex/Poseidon (décembre 1997) et Jason 2 (décembre 2015). Le transfert des eaux chaudes de l’ouest vers l’est du Pacifique le long de l’équateur se traduit par une élévation du niveau de la mer à l’est de plus de 20 cm et une diminution équivalente à l’ouest. NASA/JPL-Caltech

Le phénomène a, comme en 1998, marqué de son empreinte les indicateurs du climat global : température, niveau de la mer, teneur en CO2 de l’atmosphère notamment. La NOAA prévoit son déclin à partir de mars 2016 pour un retour à une situation neutre durant le deuxième semestre 2016. El Niño durant en moyenne un peu plus d’un an, il est beaucoup plus facile d’annoncer sa fin que son démarrage….On conclura en 2017.

La température

C’est maintenant traditionnel les agences américaines NASA et NOAA ont conjointement présenté le 20 janvier 2016 le résultat de leur analyse de l’évolution de la température globale de la planète en 2015.
Le résultat est sans appel : la température moyenne de la Terre en 2015 a été supérieure de 0.9°C à la moyenne des années 1901-2000. Elle bat ainsi de 0°16 le record précédent de 2014 qui, lui, n’était que de 0.04°C supérieur au record antérieur de 2010. (figure 2)

Courbe de température annuelle

Évolution de la température globale depuis 1880 par rapport à la moyenne de la période 1951-1980. NASA-GISS

L’amplitude de cet écart d’une année à l’autre est aussi en 2015 un record dont s’approchent les écarts de 1997-1998. Cette similitude entre 1998 et 2015 a une explication : le phénomène El Niño qui induit généralement une élévation de la température et qui, dans les deux cas s’est manifesté avec une exceptionnelle intensité. (figure 3)

El Nino et la temmpérature globale

El Niño et la température globale 1980- 2015 (NASA/NOAA). El Niño en rouge. La Niña en bleu

Le maximum de température de 1998 auquel certains ont voulu donné une valeur climatique représentative, sans se soucier de la variabilité du climat aux échelles pluriannuelles, et notamment à celle induite par El Niño, est à l’origine de l’hystérie du «hiatus» dans lequel les climatosceptiques voyaient la consécration de leur négation du réchauffement climatique. La fin de l’actuel El Niño débouchera peut-être sur un nouveau plateau apparent, mais cette fois il sera à une valeur de température plus élevée…..
La carte des anomalies de température de 2015 (figure 4) montre que l’’accroissement de température n’est pas uniformément répartie.

Anomalies de température en 2015 par rapport à la moyenne de la période 1951-1980. NASA Earth Observatory

Un point attire l’attention : l’anomalie négative très significative sur l’Atlantique Nord. Les intervenants à la conférence de presse NASA/NOAA proposent deux explications possibles : l’affaiblissement de la MOC (meridional overturning circulation) qui a pour conséquence un affaiblissement du transport de chaleur vers le nord par l’océan ou bien l’apport d’eau froide venant de la fonte du Groenland (EOS 25 janvier 2016). Affaire à suivre…..

Les banquises

En Arctique la banquise a atteint son extension maximum en février 2015 : 14.5 millions de km2 soit 1.1 millions Km2 de moins que la moyenne 1980-2010. C’est l’extension la plus faible depuis que l’on mesure cette extension par satellite en 1979 (figures  5 et 6).

Extension de la banquise

Figure 5
Extension de la glace Arctique en mars 2015 à gauche et septembre 2015 à droite correspondant au maximum et au minimum d’extension. La ligne magenta représente l’extension moyenne sur la période 1981-2010. nsidc.org/data/seaice_index.
 

Courbe d'extension de la banquise

Évolution de l’extension des glaces en Arctique en Mars (maximum) et en septembre (minimum). Période de référence 1981-2010. (D. Perovich et al . 2015. Sea ice in Arctic Report Card Update for 2015)

Le minimum, 4.4 millions de km2 a été atteint le 11 septembre : c’est la quatrième plus faible extension depuis le début des observations satellitaires. C’est 1.8 millions de km2 de moins que la moyenne 1981-2010 et 1million km2 au-dessus du minimum absolu de septembre 2012. (figures 5 et 6) . La décroissance est en moyenne de 2.6% par an en Mars (au maximum) et de 13.4% en Septembre au minimum.
L’âge de la glace est un paramètre important pour évaluer l’évolution de la banquise au-delà des variations saisonnières. Pour se maintenir, le stock de glace de l’Arctique doit être alimenté par des glaces qui survivent au dégel et passent le cap des années. En mars 1985 la plus vieille glace (plus de 4 ans) représentait 20 % du pack et en 2015 elle n’en représentait plus que 3% (figure 7).

Stock  de vieille glace de l'arctique

Évolution de l’âge des glaces de l’Arctique à leur maximum en mars en haut. Comparaison de l’ âge des glaces en Mars 1985 et Mars 2015 en bas. (Perovich et al . 2015. Sea ice in Arctic Report Card Update for 2015)

À l’inverse la glace de première année est passée d’environ 50% du pack en 1980 à 70% en mars 2015. Manifestement les réserves s’épuisent. Un indicateur de l’évolution prévisible de ce stock est la proportion de glace de première année qui résiste à la fonte estivale qui suit leur formation. En 2015 (figure 8) c’est soixante deux pour cents de la glace nouvellement formée (première année) qui n’a pas résisté, à comparer aux records de 2007 (67%) et 2012 (73%).

Age de la glace en Arctique

Figure 8
Les âges des glaces de l’ Arctique à leur extension minimum de septembre 2015

Ainsi, faute d’être régulièrement ravitaillé, inexorablement le stock de glace arctique s’appauvrit.
La banquise antarctique a atteint son maximum (18.8 millions de Km2) le 6 octobre 2015 (figure 9).

Figure 9
La banquise de l’Antarctique : extension maximum le 6 octobre 2015. La ligne orange représente l’extension moyenne 1981-2010. (NSIDC)

C’est la seizième plus grande extension depuis 1981 (120 000 km2 au-dessus de la moyenne 1981- 2010) mais surtout cette année met fin à trois années de croissance consécutives surprenantes en période de réchauffement mais expliquées par l’accroissement du vent dans l’Antarctique (cf news 2015).

Le niveau de la mer

L’élévation du niveau de la mer qui est en moyenne d’environ 3.3mm/an sur la période 1993-2015 a été particulièrement importante en 2015 comme le montre la courbe de la figure 10 qui est en forte croissance.

Figure 10
Élévation du niveau de la mer de 1993 à 2015 (AVISO)

C’est encore El Niño qui marque son empreinte. On voit sur la même figure qu’un pic analogue avait été observé pendant l’El Niño de 1997/1998. Cela tient à ce que le phénomène El Niño se traduit par de fortes précipitations sur l’océan et globalement un transfert d’eau des continents vers l’océan. Malheureusement le système climatique étant très complexe on ne peut en déduire que chacun des pics observés correspond à un phénomène El Niño. Par exemple le pic de 2013 apparent aussi sur la courbe ne correspond à aucune anomalie de type El Niño. Un zoom sur la période 2009-2015 (figure 11) semble indiquer une accélération de l’élévation du niveau de la mer (4.24mm/an). À ce stade on se contentera d’en prendre acte en attendant la suite…..

Niveau moyen de la mer

Élévation du niveau de la mer 2009-2015 (AVISO)

Le gaz carbonique

Les teneurs en gaz carbonique de l’atmosphère ont continué de croître en 2015 passant selon la NOAA de 397.69 ppm en novembre 2014 à 400.38 en novembre 2015 soit une augmentation de 2.69 ppm . C’est la valeur la plus élevée depuis 1998 (2.82). Faut-il encore y voir la trace d’El Niño qui s’est manifesté, on l’a vu, avec une rare intensité en I997/1998 et 2015 ? En situation normale l’océan Pacifique équatorial, siège d’un upwelling (remontée d’eau froide riche en gaz carbonique le long de l’équateur) est normalement une source de CO2 alors que pendant un El Niño c’est l’inverse : le Pacifique équatorial envahi par les eaux chaudes qui s’écoulent d’ouest en est, et dont le gaz carbonique est en équilibre avec celui de l'atmosphère perd ce caractère de source de CO2. Au contraire, les importantes modifications du régime des pluies sur les continents pendant les épisodes El Niño y modifient profondément le cycle du carbone. La hausse très abrupte de la concentration en CO2 atmosphérique en 1997-98 est imputable aux sécheresses intenses et aux incendies qui ont marqué cette période. Il est encore trop tôt pour affirmer qu'une hausse analogue se reproduira pour l'épisode 2015-2016. Si c'était le cas, l'enregistrement de la concentration en CO2 de l'atmosphère à Mauna Loa (îles Hawaï) ne repasserait désormais plus au dessous de la barre symbolique de 400 ppm, qu'il aurait définitivement franchie en octobre 2015 (figure 12)....

Courbe CO2 à Mauna

Comparaison de l'évolution du CO2 pendant les El Niño de 1997-98 et de 2015-16. En bleu : évolution de 2014 à 2015 ; en rouge, évolution de 1996 à 1998, augmentée de la tendance croissante observée de 1996 à 2015.

Reste à réussir à anticiper l'apparition du phénomène El Niño, qui, jusqu'à maintenant, résiste aux tentatives de prévision. Contrairement à 1997-98, il semble bien qu’en 2015 les émissions de CO2 aient diminué. Selon le Global Carbon Project les émissions de 2015 seraient de 35.7 Gigatonnes contre 35.9 en 2014 soit une diminution de 0.6%. Chiffre à confirmer : l’an dernier à la même époque le Global Carbon Project annonçait pour 2014 une augmentation des émissions de 2.5% alors qu’elle fut ramenée finalement à +0.6 %. L’avenir dira si ce ralentissement (2014), puis cette baisse (2015) est le résultat d’un véritable effort de réduction des émissions ou la simple manifestation d’un très net ralentissement de la croissance du plus gros émetteur de CO2, la Chine. Une baisse analogue des émissions avait déjà été observée en 2009 (figure 13) suite à la crise de 2008 mais l'accroissement des émissions avait ensuite rapidement repris son cours.

Emission de CO2

Évolution des émissions de CO2 (fuel et industrie) depuis 1990. (Global Carbon Project).

L’année 2015 est particulièrement intéressante parce que l’occurrence d’El Niño permet de faire une comparaison avec la situation analogue de 1997/1998. De fortes similitudes sont déjà apparues sur les impacts respectifs de ces deux évènements. Mais n'anticipons pas.: El Niño est capricieux. Attendons le retour à la normale annoncé en 2016 pour tirer des conclusions....définitives."