Rubrique opinion
Science et éthique dans le réchauffement climatique global
Conférence invitée de George Philander présentée à la "8th World Conference of the International Association of Refugee Law Judges" qui s'est tenu au Cap en Afrique du Sud, du 28 au 30 janvier 2009
Traduction et adaptation de Jacques Merle
Le monde scientifique et celui des hommes de loi (juristes et autres
politiques) sont profondément différents car les membres
du premier ont à faire à des problèmes simples
dont ils cherchent des solutions qui peuvent être
acceptées par tous, alors que les hommes de loi, sont
confrontés à des problèmes très difficiles,
comportant de multiples solutions et impliquant de nombreux facteurs se
rattachant au domaine de l’humain tels que l’âge, la
race, le sexe, la religion, les convictions philosophiques …
etc. On peut illustrer cette différence fondamentale, entre
l’approche scientifique et l’approche non-scientifique des
problèmes touchant à la question climatique, à
l’aide d’une image allégorique simple.
Supposons que l’on soit dans un canot, glissant doucement au fil
de l’eau sur une rivière calme par un bel
après-midi d’été, lorsque quelqu’un,
scrutant plus soigneusement la carte, annonce subitement que nous
approchons d’une chute. Pour éviter la catastrophe, il
faut apporter des réponses à deux questions :
-
A quelle distance sommes-nous de la chute ?
-
Et quand devrons nous gagner la rive ?
La première question est de nature scientifique et relève d’une réponse unique et sans équivoque.
Mais la réponse à la deuxième question est beaucoup plus difficile à trouver car elle implique des facteurs humains dépendant notamment de la diversité des occupants du canot. Les uns, les plus jeunes, peuvent souhaiter tenter le diable et aller jusqu’à la chute en vivant un moment intense, les autres, plus âgés, au contraire, sont avant tout soucieux de leur sécurité et discutent des risques comparés entre être précipité dans la chute et atteindre rapidement un rivage inconnu et hostile. La réponse à la deuxième question sera donc toujours difficile à trouver même si l’on connaît précisément la réponse à la première de nature scientifique : à quelle distance est exactement la chute ?
Mais les choses se
compliquent encore si l’on tient compte d’un certain niveau
d’incertitude dans la réponse à la question
scientifique. Supposons que l’on puisse estimer la distance,
exprimée en temps, entre le canot et la chute, à 30
minutes, mais avec une incertitude de plus ou moins 15 minutes. Des
optimistes diront que l’on dispose encore de 45 minutes avant la
chute, des plus craintifs, au contraire, diront que dans 15 minutes on
sera en danger. Leur désaccord repose-t-il sur des
évaluations différentes de l’information disponible
ou est-ce seulement l’âge et l’émotion qui
portent certains à la crainte et au contraire d’autres
à la prise de risque ?
On ne sait trop et pour y voir plus clair on demande aux scientifiques de fournir une estimation plus précise de la distance entre le canot et la chute.
On
fait face à une situation tout à fait semblable et tout
aussi complexe dans la question du réchauffement climatique car
elle implique à la fois la science et l’éthique.
La question scientifique est en principe simple et sans ambiguïté : De combien de degrés et comment les émissions anthropiques de Gaz à Effet de Serre (GES) affecterons la température et le climat ? Mais en pratique la réponse est très difficile à apporter et comporte beaucoup d’incertitudes. C’est ce qui a polarisé le débat.
D’un coté les « sceptiques » - dont un illustre représentant est George Bush, ancien président des États Unis - sont convaincus qu’il n’y a pas de risque dans le futur immédiat. Ils s’opposent à des « naïfs » - représentés par Al Gore – qui assurent que le réchauffement global est en cours et qu’un désastre frappant notre environnement est imminent.
Le prix Nobel de la
paix 2007 (attribué conjointement au Groupe Intergouvernemental
pour l’Étude du Climat – GIEC - et à Al Gore)
a-t-il éteint la polémique ? Pas le moins du
monde.
Le prix Nobel de la paix, attribué par un jury norvégien, attire l’attention et consacre des actions en faveur de solutions à des problèmes globaux. Sur la question du réchauffement climatique en cours, Il encourage une prise de position de nature politique et sociale face à des connaissances et des incertitudes analysées par un comité d’experts internationaux du climat (le GIEC) chargé d’évaluer le changement climatique, de prévoir son évolution future et les moyens de s’y adapter. Mais beaucoup mésinterprètent la signification de l’attribution de cette prestigieuse distinction et considèrent que la science a maintenant fini son travail, que les certitudes scientifiques sont établies et que la première priorité dorénavant est de s’adapter aux changements climatiques et au réchauffement global que l’on prévoit à l’échéance de la fin du siècle. C’est malheureusement ce que disent aux africains les personnalités qui les visitent. En conséquence, le débat sur le réchauffement global se tient moins autour de la science qu’autour des désaccords engendrés par des dilemmes éthiques. Le dilemme qui sépare Gore et Bush concerne l’équilibre entre liberté et régulation autoritaire (Les gouvernements ont-ils autorité pour vous imposer le type d’automobile que vous devez utiliser ?). Les politiciens de tous bords ont des avis très différents sur ces questions et de ce fait ont tendance aussi à considérer le risque climatique avec la même variété d’opinion.
Un autre dilemme
concerne l’équilibre à trouver entre nos
obligations envers les générations futures et nos
responsabilités vis-à-vis des populations
déshéritées actuelles. Les riches et les pauvres
peuvent voir les choses différemment sur cet équilibre,
mais il se trouve que c’est seulement l’opinion des riches
sur le réchauffement global qui est actuellement pris en
considération. Il est urgent que les pauvres aient aussi la
possibilité d’exprimer leur opinion sur les questions
d’environnement en général et sur le
réchauffement global en particulier. C’est une des raisons
pour laquelle le gouvernement Sud Africain a décidé de
créer un « Africa Centre for Climate and Earth System Science –
ACCESS - »
Que diraient les africains au sujet du réchauffement global s’ils avaient la parole ?
Les échanges récents en réponse à cette question convergent autour d’opinions très diverses :
-
Soulager la pauvreté est la plus haute priorité pour les africains. Les pauvres, à la différence des riches, ont d’énormes difficultés à faire face aux fluctuations climatiques actuelles. Ils ont besoin de s’adapter et de faire face aux oscillations climatiques dès maintenant. La compétence ainsi acquise facilitera d’autant leur réactivité à leur exposition future aux changements climatiques à venir.
-
Faire preuve de sagesse par une attitude responsable envers notre belle planète. Leur préférence va à une réponse au réchauffement global qui ne soit pas seulement dictée par la peur d’un inévitable désastre - la peur annihile la raison et enflamme le discours - mais plutôt sous-tendu par l’amour de notre merveilleuse planète dont on désire être des serviteurs admiratifs et responsables. Pour ce faire on doit acquérir une connaissance minimale de son fonctionnement et comprendre pourquoi elle est habitable. Tout le monde doit avoir accès à cette connaissance pour s’émerveiller de sa beauté au-delà même de l’imaginable.
-
Accepter l’incertitude de la connaissance scientifique et, cependant, reconnaître la nécessité d’agir face à ces incertitudes, peut être libérateur parce qu’alors le réchauffement climatique pourra être vu comme une chance pour promouvoir l’éducation en général et l’éradication à terme de la pauvreté.
-
Étant donné les incertitudes scientifiques, on doit se protéger des risques du réchauffement global comme on se protège de l’incendie de sa maison. On contracte alors des assurances en fonction de l’étendue de ses possessions. En d’autres termes, chacun répond différemment, à sa façon et en fonction de ses moyens, au réchauffement global.
-
Bien que le réchauffement global soit dû aux activités des riches depuis plus d’un siècle, ce sont les pauvres qui en souffriront le plus. On se place alors au cœur d’un débat politique.
En
résumé, le réchauffement global ne doit pas
être vu seulement comme une menace potentielle, mais aussi comme
une occasion favorable de faire face utilement à un certain
nombre de problèmes inhérents au développement de
l’humanité. Les africains (et les pays du Sud en
général) ne peuvent se passer d’agir maintenant au
regard des problèmes qui se posent à eux actuellement
sous peine de se placer en situation de subir passivement dans quelques
décennies d’autres problèmes liés au
changement climatique encore plus difficiles à résoudre.
George Philander est né au Cap en Afrique du Sud. Sa famille émigre aux USA dans les années 1960. II fait ses études à Harvard jusqu'au doctorat.
Il entre au Geophysical Fluid Dynamics Laboratory (GFDL) de la NOAA à Princeton où il devient un théoricien de l'océanographie très connu. En 1990, il devient professeur de géoscience à l'Université de Princeton et plus récemment professeur à l'université du Cap en Afrique du Sud.
Il est membre de l'académie des sciences américaine. Il fut un pionnier de la modélisation océanique, et il est un des leaders mondiaux de l'océanographie, particulièrement pour les régions tropicales dont il a montré l'importance première dans la question climatique.