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Proposition de Raymond à partir d'un texte de Robert Kandel - Message du 21 mars
 (à condition de le réécrire, ou bien d'obtenir son accord pour le publier....) 

Peut-on compter sur les nuages pour atténuer l'ampleur du changement climatique ?
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[...] deux éléments propres à l'atmosphère terrestre doivent entrer en ligne de compte si l'on veut prendre la mesure de la complexité du phénomène. Le premier tient à l'existence sur la " planète bleue " d'une masse océanique considérable qui échange de la chaleur et de la matière avec l'atmosphère, notamment sous forme de vapeur d'eau, si bien que les
changements de températures entraînent nécessairement des modifications dans le cycle hydrologique. Et ces changements s'avèrent à bien des égards plus importants que les changements de température que l'on peut attribuer directement à l'enrichissement de l'atmosphère en gaz carbonique (et méthane, CFC, etc.).
Il s'agit ici de ce que l'on appelle les " rétroactions " : si l'on considère la perturbation imposée par l'homme (par exemple l'enrichissement en CO2 qui intensifie l'effet de serre) ou par la nature (p.e. une variation du Soleil) comme une cause de changement (un forçage dans le jargon des spécialistes), la rétroaction est un effet qui à son tour agit
comme une cause, amplifiant (rétroaction positive) ou restreignant (rétroaction négative) la réponse au forçage initial. Ainsi la première rétroaction négative, facteur de stabilité, est celle du rayonnement: lorsque la surface et l'atmosphère se réchauffent, elles tendent à rayonner davantage dans l'infrarouge, ce qui limite l'augmentation de la température. Cependant, il existe aussi des rétroactions positives, augmentant la sensibilité du climat au forçage initial. Par exemple, si l'on commence à faire monter la température à la surface, on intensifie l'évaporation ; si la température atmosphérique commence à monter, l'atmosphère pourra contenir davantage de vapeur d'eau. La plupart des spécialistes pensent donc que la quantité de vapeur d'eau dans l'atmosphère augmentera effectivement. Mais la molécule H2O absorbe sur une grande partie du spectre infrarouge, et surtout à des longueurs d'onde qui vont de 5 à 8 micromètres et de 16 à 50 micromètres, alors que le C02 absorbe surtout dans une bande étroite, autour de 15 micromètres. Il se produit alors une intensification accrue de l'effet de serre due à l'humidification supplémentaire de l'atmosphère. Dans les calculs qui prédisent un
réchauffement de 2 à 4°C pour un doublement de la quantité de gaz carbonique, une grande partie de ce réchauffement doit en fait être attribuée à cette rétroaction " vapeur d'eau ".
Il est cependant simpliste d'invoquer la rétroaction de la vapeur d'eau sans considérer le deuxième élément propre à l'atmosphère terrestre, peut-être plus décisif encore, l'existence des nuages. Certes, les nuages ne manquent pas sur d'autres planètes ; mais il n'y a que sur la Terre qu'ils jouent un rôle à la fois important (bien plus que sur Mars, où ils sont rares) et variable, puisqu'ils ne couvrent pas la totalité de la planète (comme c'est le cas sur Vénus) mais seulement entre la moitié et les deux tiers de sa surface. Les nuages réfléchissent en effet assez bien la lumière solaire. On pense donc d'habitude que si l'on augmente la nébulosité, on refroidit du même coup la surface de la Terre; et c'est souvent bien le cas. Mais en même temps, les nuages bloquent aussi le rayonnement infrarouge. On sait qu'une nuit sans nuages peut être extrêmement fraîche; une nuit nuageuse, très douce. Dans nos régions, pendant les nuits d'hiver, c'est l'action essentielle des nuages dans le bilan radiatif ; dans la nuit polaire, c'est leur fonction exclusive. Voilà donc un phénomène capital pour la détermination et l'évolution des climats, qui vient perturber le schéma simple du nuage bloquant le Soleil et refroidissant la Terre. Or l'étude de la nébulosité n'en est encore qu'à ses commencements, surtout si l'on veut connaître son rôle à l'échelle du globe. Aristote a dû échafauder une théorie bien laborieuse pour tenter d'expliquer la formation des nuages, pourtant liés à l'eau, à proximité de ce qu'il supposait être la sphère chaude de l'élément " feu ". Mais, même à
la veille de la Seconde Guerre mondiale, on était encore loin de comprendre dans le détail dans quelles conditions la vapeur d'eau gazeuse dans l'atmosphère pouvait se condenser en gouttelettes d'eau liquide ou en cristaux de glace. La formation, la dissipation des nuages, leurs interventions dans les flux de rayonnement font apparaître des processus d'une très grande complexité. Le pouvoir réfléchissant des nuages - leur
albédo -dépend de leur épaisseur, du nombre et de la taille des gouttelettes ou des cristaux dont ils sont composés, et éventuellement de leur contenu en polluants de diverses sortes. Leur effet de serre, en ce qui concerne la planète dans son ensemble, dépend surtout - en plus de ces paramètres - de leur répartition en altitude.
Les nuages élevés, les cirrus et cumulonimbus, aux sommets très froids et proches de la tropopause, rayonnent peu dans l'infrarouge ; leur effet de serre est donc puissant, puisqu'ils empêchent l'infrarouge émis par les surfaces plus chaudes en bas de s'échapper vers l'espace. Les nuages bas, en revanche, émettent presque autant d'infrarouge que les surfaces qu'ils couvrent, ce qui fait qu'ils ont un effet de serre faible à l'échelle planétaire. Ces nuages et notamment les champs étendus de stratus et strato-cumulus au-dessus des océans -jouent essentiellement un rôle de refroidissement, puisqu'ils réfléchissent la majeure partie du rayonnement solaire, empêchant ainsi son absorption à la surface de la mer. Pour les cumulonimbus, qui réfléchissent fort bien la lumière solaire, les deux effets se compensent à peu près. Les cirrus, souvent très fins, laissent passer davantage de lumière solaire, et c'est généralement l'effet de serre, donc l'effet de réchauffement, qui domine. Cependant, s'ils s'épaississent, leur réflexion du rayonnement solaire pourrait bien devenir dominant, et pour V. Ramanathan et William Collins de l'université de Californie à San Diego, les cirrus des tropiques agiraient comme une sorte de thermostat, limitant l'augmentation des températures à la surface de la mer. Encore faut-il démontrer - point fortement contesté par d'autres chercheurs - qu'à une augmentation de la température de la mer va nécessairement correspondre un renforcement des cirrus. De toute façon, pour bien évaluer cet effet, s'il existe, il faudrait pouvoir calculer de fàçon précise comment les cirrus réfléchissent la lumière solaire, en
fonction des tailles et des formes des cristaux de glace qui les composent.
Jusqu'à une date récente, on ne prenait pas en compte dans ces calculs le fait que ces cristaux ne sont point sphériques, mais plutôt des assemblages de section hexagonale. Ce n'est d'ailleurs qu'avec de telles particules non sphériques que l'on peut comprendre des phénomènes atmosphériques comme les halos ou l'arc circonzénithal.
Selon le lieu et l'heure d'apparition d'un nuage, selon ses propriétés physiques, il contribuera plus ou moins fortement, et à la réflexion du rayonnement solaire, et à l'effet de serre. Il est fort délicat d'évaluer correctement le bilan de ces deux influences contradictoires de la nébulosité sur le climat tel qu'il est aujourd'hui. Si en plus le climat se
met à changer, avec un réchauffement à la surface de la Terre, quels seront les changements concernant la nébulosité ? Quel rôles jouent les aérosols, notamment les aérosols soufrés qui résultent - en même temps que le CO2 - de la combustion de carburants fossiles ? Comment savoir si ces modifications vont renforcer ou affaiblir la tendance initiale ? Il faut en outre savoir s'il y aura, ici ou là, plus ou moins de nuages bas, plus ou moins de nuages élevés... C'est à peine si nous disposons de quelques éléments de réponses à ces questions, grâce à la vision globale que nous pouvons maintenant avoir par satellite et aux simulations numériques que permettent les grands ordinateurs.
Robert KANDEL