Dossier Océanographie opérationnelle
Projet EMMA: situation en Octobre 2006
EMMA = Échantillonnage des propriétés de Masses d'eau MArines
Jean-Paul Guinard - 2005
Les dispositifs profileurs EMMA
Introduction
En 1995, la Société BrIO présenta à Ifremer l'idée du procédé EMMA et du dispositif dit
EMMA/CTD ; un accord fut conclu pour une étude de faisabilité.
En effet, il s'agissait de répondre au besoin exprimé par la communauté scientifique de développer
un système d'Échantillonnage in situ des Masses d'eau MArines pour déterminer de manière
opérationnelle leur densité en fonction de la profondeur de façon à alimenter en temps quasi-réel
des modèles ordinateur - en complément des observations spatiales de la surface, surtout
altimétriques, (Cf. par exemple le travail de Mercator-Océan).
La solution EMMA a été présentée comme complément au dispositif ARGO vers
1997, à la communauté scientifique internationale. Cette dernière n'a pas répondu favorablement à
l'époque pour des raisons de prix, de disponibilité du satellite ARGOS (ce dernier non seulement
collecte des données, mais également localise le mobile, si bien qu'on sait, même avec des flotteurs
dérivants, où se situe le sondage) et aussi de technologie du capteur de conductivité
(sur les bouées ARGO, le capteur est à électrodes exposé aux salissures quand la bouée est en surface;
il est nettoyé chimiquement après ce passage).
La mise en place dans les océans du monde de 3.000 flotteurs ARGO, en vue en particulier des
programmes CLIVAR et GODAE, est en passe d'être réalisée, mais présente quelque limitations
signalées par les utilisateurs: difficulté à utiliser ARGO dans les mers fermées (Golfe du
Mexique par
exemple), impossibilité de descendre au-dessous de - 2000m...
Cependant, diverses études et le développement d'un profileur plus simple, répondant aux
critères du procédé EMMA,
EMMA/TD (Température-profondeur) ont été menés par Ifremer, qui a confié le développement
de prototypes d'EMMA/TD à la Société Micrel
(maintenant NKE). Ce travail a donné lieu à
des innovations intéressantes, mais n'a pas eu de suite jusqu'à maintenant.
Les études sur la mesure de conductivité ont été menées mais n'ont pas donné lieu à publication.
(EMMA/CTD)
Enfin, en 1996, la Sté BrIO a lancé l'idée et pris un brevet sur le dispositif dit
EMMA/Couranto, qui avait pour but de mesurer les courants en profil en utilisant des
sondes selon le procédé EMMA. Selon ce procédé, on peut réaliser des mesures de courant tout au long d'une colonne d'eau, et bien sûr utiliser les autres propriétés d'EMMA. A ce jour, cette idée n'a donné lieu à aucune action de R&D
ni à aucun contrat.
La campagne de R&D engagée sur les différentes versions de sondes EMMA a été suspendue en 2002.
Après avoir rappelé le principe du procédé, on présentera ici les réalisations de diverses sondes obéissant au principe EMMA mais équipées de capteurs différents, à savoir successivement: EMMA/TD, EMMA/CTD et EMMA/Couranto.
EMMA: réseau et procédé
Le réseau EMMA d'échantillonnage des masses d'eau marines est constitué de sondes portant des capteurs, chacun d'eux étant sensible à une grandeur à mesurer. Ce réseau se caractérise principalement par les traits suivants :
-
les échantillons sont réalisés à partir de la même grille géographique,
-
plusieurs échantillons dans la grille peuvent être pris au même moment, de façon à avoir une vue synoptique de la zone,
-
le sondage peut être réalisé sur toute la hauteur d'eau, même à grande profondeur,
-
il peut être réalisé dans des zones peu propices au déploiement de bouées dérivantes "ludion", type ARGO (zones de forts courants, voisinage de caps et de hauts fonds...)
-
les capteurs des sondes sont insensibles au biofouling car effectuant une seule remontée de courte durée
-
la transmission directe des données recueillies via une satellite à défilement et au delà vers un modèle sur ordinateur peut être totalement automatisée.
-
Son coût unitaire par profil est, dans sa version "sonde perdable", relativement élevé : dans la version avec capteur de conductivité EMMA/CTD, en production de masse, l'étude affichait un prix de revient par profil de 1000 US$, contre 150US$ pour ARGO. Un moyen de réduire ce coût unitaire serait de récupérer les sondes par bateau, mais bien entendu au détriment de l'automaticité de la transmission.
Le procédé de mise en oeuvre des sondes est le suivant:
À partir d'un navire ou d'un aéronef, on coule sur le fond de la mer des groupes de sondes plus
légères que l'eau, par lestage (Fig. 1, a, b, c et d). Avant la mise à l'eau, en réglant une
minuterie larguée avec chaque sonde, on a fait en sorte que les sondes d'un groupe remontent
selon une suite déterminée dans le temps: pour cela, dans chaque sonde, un dispositif de
largage du lest est déclenché à un instant choisi avant largage. Chaque sonde, libérée de son
lest, est plus légère que l'eau et "remonte" la colonne d'eau sous l'effet de la poussée
d'Archimède (Fig. 1, e). On met à profit la remontée (qui peut atteindre quelques heures
pour les grands fonds océaniques), pour faire des mesures en profilage de la colonne
d'eau grâce à des capteurs et à une électronique embarquée. Les données sont mises en mémoire
à bord de la sonde.
À l'arrivée de la sonde en surface (Fig.1, f) celle-ci flotte
suffisamment pour dégager une antenne radio et pour établir une liaison radio avec un satellite
de collection de données en visibilité pendant un temps suffisant pour transmettre le paquet de
données enregistré (Fig. 1, g). On assurera ainsi avec le satellite une liaison montante de
transmission des données enregistrées dans la sonde. Ces données sont d'abord mises en mémoire dans le satellite, qui les enregistre pour les céder à une station de réception (Fig.1, h) et finalement à un centre de traitement (Fig. 1, i).
Ayant programmé les instants de remontée des sondes d'un groupe, on a mis en place la composante
temporelle d'un échantillonnage en profil d'une "colonne d'eau". Pour obtenir les composantes
spatiales x, y et z de l'échantillonnage d'une "masse d'eau", il convient de larguer, puis
de commander la remontée de plusieurs groupes de sondes.
Figure 1
Si plusieurs sondes sont larguées en même temps à partir de positions géographiques connues et différentes, on a réalisé
un système synoptique eulérien de sondage spatio-temporel "3D" de l'océan
intéressant toute la hauteur d'eau.
Le procédé fait appel au minimum à l'intervention humaine; en dehors de la phase de mise à l'eau des groupes de sondes,
son fonctionnement est automatique. De plus, il semble possible de concevoir des sondes très robustes, du fait de leurs petites dimensions, pour permettre
un largage par avion.
Bien entendu, le cycle temporel d'échantillonnage peut être commandé pour être en phase avec un phénomène naturel, comme la marée. On pourrait également obtenir, en plaçant judicieusement les sondes, des "coupes" synoptiques de tranches d'eau dans l'océan (transects).
Dans une variante, on peut remarquer que les données enregistrées pourraient être recueillies par un navire - et non un satellite, ce qui permettrait aussi de récupérer les sondes et donc d'abaisser le coût de l'expérience; dans cette hypothèse, toutefois, l'automaticité du recueil de données ne serait plus assurée.
Les dispositifs profileurs EMMA
-
Les sondes sont équipées de capteurs sensibles à différents paramètres caractéristiques du milieu traversé - soit physiques, soit biologiques - et d'un capteur de profondeur.
NB: un cas particulier, la sonde EMMA/couranto: cf plus loin. -
Dans l'avant-projet et dans la réalisation des sondes TD, on s'est astreint à ce que les capteurs - sauf celui de profondeur - soient placés "à l'avant du sens de la remontée", de façon à ce que leur mesure ne soit par perturbée par l'effet de sillage de la sonde. Ce faisant, ils sont "balayés"par un courant d'eau constant dû à la vitesse de remontée, propriété spécialement valable pour certains capteurs (en particulier un capteur de conductivité à électrodes).
-
Le stockage au fond pouvant durer plusieurs années, il est nécessaire de protéger le capteur de conductivité par un capot anti-salissures,
-
Les dispositifs n'utilisent pas de câble, ce qui simplifie considérablement leur mise en place et leur conception, en particulier lorsqu'on veut mesurer les paramètres de densité de l'eau de mer de manière synoptique,
-
Si on considère la sonde comme perdable, son prix de revient dépend du type de capteurs embarqué et est évidemment critique : mais cette hypothèse peut être exagérément pessimiste dans certains cas : on peut programmer les bouées pour faciliter leur repêchage par un navire faisant du homing sur l'émission du flotteur.
Le profileur EMMA/TD
Figure 2
Une version TD (température-profondeur) d'un profileur prototype répondant aux principes EMMA a été réalisée par la Sté NKE-Micrel (Fig.2). Les 5 exemplaires de ce prototype ont été essayés à la mer par Ifremer.
Les performances sont les suivantes:
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Température: gamme -2 à + 35°C Précision : 3 m°C de 0 à 10°C, 6 m°C de 10 à 20°C, 12 m°C de 20 à 31°C
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Pression: gamme de: 0 à 624 bars. Précision: 0,8 bar de 0 à 160 bars, 2 bars de 160 à 624 bars
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Données compressées via le satellite Argos
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Énergie à partir de piles au lithium, permettant un stockage de 6 mois, et un fonctionnement de 2 ans.
Le corps de sonde pèse 2,3 kg. Il se compose :
-
d'un corps tubulaire cylindrique en titane et caoutchouc néoprène, de longueur 60cm et de diamètre extérieur 3,4 cm, qui contient l'électronique et porte une antenne 1/4 d'onde à 400 MHz et le capteur de température. La mesure de pression est faite par jauge de contrainte sur le corps de la sonde.
-
d'un parallélépipède de mousse syntactique de 20 x 20 x 5cm
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d'un lest amovible constitué d'un plomb de sonde retenu par un fil: le largage se fait par rupture du fil, après électrolyse de celui-ci par un courant généré par des batteries contenues dans le corps.
Le profileur EMMA/CTD
On donne ci-dessous les conclusions de l'étude réalisée sur EMMA/CTD.
Le capteur de conductivité et son électronique
Le capteur de conductivité à 4 électrodes, classique pour mesurer la conductivité d'une solution, présente les avantages suivants:
-
ses performances ne dépendent que de sa géométrie et devraient pouvoir s'affranchir de toute calibration avant largage,
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disposé "en avant" (pendant la remontée) sur le corps de sonde, il peut être balayé par le courant d'eau dû à la vitesse de remontée,
-
il peut être réalisé sur une tige rigide, capable de contenir les fils du capteur de température et servir d'antenne, en communication avec l'intérieur du corps à travers un joint d'étanchéité.
Il semble que le capteur pourrait être très bon marché : des capteurs de ce type sont déjà fabriqués en grande série, mais semblent répondre à des spécifications inférieures à celles demandées; l'obtention de meilleures performances pourrait se faire par une caractérisation métrologique des anneaux du capteur (?).
NB: le seul capteur actuellement disponible pour les bouées ARGO utilise aussi un capteur à 4 électrodes. Mais comme il doit être réutilisé tous les dix jours pendant six mois, son environnement est plus complexe: chambre de mesure, pompe de circulation, nettoyage par procédé chimique des biosalissures....
Protection du capteur de conductivité pendant le stockage au fond
Figure 3
Au cours d'une remontée (quelques heures), le capteur n'a pas le temps de fixer des biosalissures, mais il peut recevoir des déchets (cadavres d'animaux, feces, etc) pendant son stockage au fond. Il semble en conséquence qu'un capot recouvrant ce capteur est indispensable pendant cette période, ou encore que la sonde soit placée sens dessus-dessous au fond. Dans ce cas, un "retournement" est nécessaire mais possible juste après largage du lest (Fig. 3)
Le corps de sonde
Le corps de sonde est destiné à contenir les capteurs, l'électronique et les batteries et à résister à la pression de 620 bars. Deux solutions sont possibles: comme sur EMMA/TD, un tube titane de Фext 32 mm et une flottabilité réalisée par mousse syntactique, - ou un corps sphérique en verre assurant par son volume même sa flottabilité.
Dispositif de largage du lest
Figure 4
Deux solutions sont possibles pour le dispositif de largage du lest :
-
pyrotechnique: la sonde est éjectée du capot par la pression développée sur elle. Pour cela, un dispositif pyrotechnique "gonfle" dans cette enceinte. La minuterie électronique serait incluse dans ce dispositif.
-
à électrolyse d'un fil, solution retenue dans EMMA/TD,
Mais, pour réduire le prix, l'électrolyse serait faite (contrairement à ce qui se passe sur EMMA/TD) à partir de piles situées dans un boîtier support de plusieurs sondes et utilisables plusieurs fois (dans EMMA/TD, on "remonte" les piles ayant servi au largage (poids d'environ 0,5 kg), d'où un matériau syntactique plus volumineux).
La première solution a notre préférence, mais sa mise en
œuvre se heurte à diverses difficultés : elle semble ne pas répondre à certaines normes de transport par avion et son utilisation est peu familière aux utilisateurs marins. Aussi, nous choisirons dans ce qui suit la séparation par électrolyse.
Nous pensons que la solution consistant à réunir dans la même tige de longueur environ 17 cm les deux capteurs, l'antenne à 400 MHz et le câble du largueur est bonne, les signaux correspondant aux quatre organes étant à des fréquences très différentes. De cette façon, il y aurait une seule traversée électrique de coque dans le corps de sonde.
EMMA/TD et CTD: tableau des coûts estimatifs en Francs
Le tableau ci-après résume les coûts de la sonde et de ses accessoires; c'est évidemment une estimation personnelle.
Le profileur EMMA/Couranto
Je me contenterai d'évoquer ici un procédé et un dispositif permettant de réaliser des séries chronologiques de mesures de profils verticaux de la vitesse du courant dans une masse d'eau marine, et de les transmettre à un satellite de collection de données.
Selon celui-ci, on déterminerait les trois composantes de la vitesse du courant en tout point d'une colonne d'eau de mer en mesurant les composantes de la vitesse de dérive d'une sonde plus légère que l'eau, en mouvement libre dans l'eau, larguée depuis une plate-forme posée sur le fond, au moyen d'un dispositif de positionnement acoustique de la sonde par rapport à la plate-forme et d'un capteur de profondeur.
Pour ce faire, on équiperait la sonde d'une chaîne de réception acoustique et d'une antenne, recevant l'émission d'une balise située au fond, d'un capteur de Nord (à effet Hall) et d'un capteur de profondeur. La sonde serait mise en rotation autour de son axe de symétrie à la manière d'un poisson de loch à hélice, l'antenne acoustique de réception étant déportée par rapport à l'axe de la sonde et "en arrière" de cette hélice. Par une série de mesures de phase du signal reçu à mémoriser dans la sonde puis à retransmettre par voie radioélectrique, - détection des quatre points cardinaux à partir du capteur de Nord, mesure des différences de phase de réception des signaux acoustiques transmis par la chaîne à ces instants, et enfin profondeur -, on pourrait reconstituer au sol les trois composantes du courant en tout point de la remontée.
Conclusion
Convient-il de relancer les études et le développement de dispositifs décrits dans cette note, en particulier EMMA/CTD, maintenant que la première étape de l'expérimentation ARGO arrive à échéance?
La décision relève évidemment des institutions publiques et/ou des industriels qui mènent des actions techniques de R & D permettant de montrer la crédibilité du procédé EMMA et aboutissant par exemple à des prototypes d'EMMA/CTD.
Nous nous tenons à disposition pour explorer plus loin les possibilités exposées ci-dessus et fournir toute explication sur les questions de propriété industrielle.
Annexe: évaluation des coûts (en Euros, actualisés 2007)
Organe |
EMMATD coût pour 500 |
EMMACTD coût pour 500 |
Capteur T | 30 | 30 |
Capteur D | 15 | 15 |
Capteur C (avec électronique) | 0 | 76 |
Électronique (dont mémoires) | 229 | 229 |
Électronique (dont émetteur ARGOS) | 91 | 91 |
Tube équipé | 30 | 30 |
Antenne | 23 | 23 |
Mousse syntactique | 61 | 46 |
Batteries | 76 | 61 |
Fil de retenue | 8 | 8 |
Plomb | 8 | 0 |
Total sous-ensembles | 571 | 609 |
Assemblage | 152 | 122 |
Marge entreprise | 305 | 305 |
Total général | 1028 | 1036 |