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Des précurseurs intuitifs mais longtemps ignorés

Jacques Merle, Bruno Voituriez, Yves Dandonneau, Club des Argonautes. Mai 2013

On s’étonne que la question climatique ait été prise en compte seulement au milieu du XXème siècle.

C’est oublier les écrits de quelques savants ou amateurs géniaux, longtemps méconnus, qui, dès le début du XIXème siècle, animés par la curiosité, l’intuition, voire la naïveté et la chance en sont venus à appréhender un problème grave et difficile bien avant que l’on en ait perçu les premières manifestations et l’importance dans les milieux scientifiques et le public. Mais ces résultats furent généralement accueillis avec scepticisme ou simplement avec désintérêt par un public scientifique restreint ; ils furent le plus souvent rapidement oubliés même lorsqu’ils venaient de savants réputés.

Il faut dire aussi que les questions tournant autour du temps et du climat sont longtemps restées en retrait de la science et entourées d’un voile opaque émaillé de croyances et de dictons populaires extérieurs à la rationalité.

De grands savants comme Newton lui-même, qui percevait la science comme une mise en ordre des phénomènes observables contraints par des lois universelles, considérait que tenter de prévoir le temps était un acte impie car on entrait dans un domaine réservé à Dieu auquel les humains n’auraient jamais accès.

Comment dès lors s’étonner de la méfiance de la science vis-à-vis d’un domaine de connaissance de l’environnement humain aussi insaisissable mais qui cependant occupait le quotidien de chacun et conditionnait aussi parfois sa survie face à des pénuries alimentaires ou des tempêtes dévastatrices ?

Ce désintérêt pour le climat affectait même les professionnels de la science du temps eux-mêmes, en l’occurrence les météorologues, qui pourtant s’étaient déjà organisés au plan international depuis le XIXème siècle pour unifier et standardiser leurs activités de collecte d’observations et de prévision.

On trouvait cependant parmi eux les scientifiques les plus proches de la question climatique qui consignaient soigneusement les observations météorologiques en en faisant des moyennes sur des périodes de trente ans ; mais les météorologues n’ont véritablement commencé à se soucier du climat, de sa variabilité et de son évolution, en un mot de sa «dynamique», que très tardivement, au cours des années 1960.

Mais revenons aux siècles précédents et aux quelques esprits originaux qui s’aventurèrent aux frontières de la science du climat en se posant des questions fondamentales sur notre environnement terrestre, questions dénuées d’intérêt pratiques à l’époque, mais d’une brûlante actualité aujourd'hui.

Ces savants qui ont contribué très tôt à la connaissance du climat presque sans le savoir, ont emprunté des voies très différentes.

On peut en distinguer trois catégories :

  • Des «naturalistes» qui s’acharnaient à décrire de façon empirique les phénomènes naturels affectant l’environnement terrestre dans lequel le climat occupait une place de choix.

  • Des «physiciens, mathématiciens, chimistes» qui s’attachaient à comprendre les mécanismes régissant cet environnement sans pour autant faire référence au climat mais en tentant d’élucider des processus physiques fondamentaux qui plus tard furent rattachés au climat.

  • Enfin une importante communauté de «géologues» qui découvrirent au XIXème siècle la dimension temporelle de l’évolution de l’environnement de la Terre et de son climat, façonnant les paysages à l’échelle des millions d’années.

De cette évocation de la pluralité d’un vaste champ de précurseurs de la science du climat plus ou moins oubliés et appartenant à des disciplines scientifiques parfois très éloignées les unes des autres on peut extraire quelques «figures» marquantes.

Ils explorèrent et défrichèrent de nombreux domaines de connaissance de la Terre, posant parfois les fondations sur lesquelles allaient être construites plusieurs disciplines scientifiques qui allaient se rassembler plus tard pour faire passer la climatologie d’une simple description géographique à une étude de la dynamique du climat comme on le verra plus loin.


Joseph Fourier (1768 - 1830)

L’intuition de l’effet de serre

Les premières questions concernant la Terre entière et rejoignant le climat furent probablement celles que formula, au début du XIXème siècle, un mathématicien français, Joseph Fourier, (connu surtout pour le concept mathématique des «séries» qui portent son nom et ses travaux sur la chaleur).

Qu’est-ce qui détermine la température moyenne de la Terre ?

Et pourquoi les rayons du Soleil n’échauffent-ils pas la Terre indéfiniment jusqu’à ce qu’elle atteigne la température même du Soleil ?

Joseph Fourier posa de bonnes questions, mais les réponses qu’il leur apporta sont parfois sujettes à caution, sinon «obscures» comme sa fameuse «chaleur obscure», alors qu’il est souvent considéré comme le découvreur de l’effet de serre.

Mais certains auteurs contestent vivement cette paternité (voir encadré).

Dans son ouvrage le plus connu : «Théorie analytique de la chaleur», paru en 1822, et dans un article de synthèse publié dans les Annales de Chimie et de Physique des Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de l’Institut de France : «Remarques générales sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires» parues en 1824, Joseph Fourier  tente de faire le bilan des sources de chaleur chauffant la Terre.

Il montre que la surface terrestre est chauffée par le soleil et est soumise à sa «chaleur rayonnante» qui traverse facilement l’atmosphère et se transforme en «chaleur obscure» renvoyée vers le haut dans l’atmosphère.

Il écrit :

Fourier«La transparence des eaux et celle de l’air paraissent concourir à augmenter le degré de chaleur acquise, parce que la chaleur lumineuse affluente pénètre assez facilement dans l’intérieur de la masse, et que la chaleur obscure sort plus difficilement suivant une route contraire».

C’est une description qualitative de l’effet de serre même si Fourier, qui n’assimile pas explicitement la «chaleur radiative obscure» au rayonnement infrarouge, n’a pas compris la transformation du rayonnement visible en chaleur absorbée, puis la transformation de cette chaleur en rayonnement.

William Herschel avait pourtant mis le rayonnement infrarouge en évidence quelques années avant. Il n’est pas clair que la «chaleur obscure» de Fourier soit le rayonnement terrestre infrarouge, comme beaucoup d’auteurs ont pu l’imaginer, bien qu’il parle parfois de «chaleur radiative obscure». Certes il nous dit que cette «chaleur obscure» a plus de mal à traverser en retour les corps transparents, tels que l’atmosphère, que n’en a la «chaleur radiative» incidente du Soleil, ce qui fait penser effectivement à l’effet de serre.

Mais lorsqu’il tente de faire un bilan thermique de la Terre il ne considère pas, et ne désigne pas comme tel, le rayonnement de la Terre.

Il prend en compte trois termes :

  • Le rayonnement solaire incident,

  • la chaleur interne, qui sera appelée plus tard la chaleur géothermique,

  • et une mystérieuse chaleur venue des étoiles et de l’espace.

Il écrit «La Terre reçoit les rayons du Soleil, qui pénètrent sa masse et s’y convertissent en chaleur obscure ; elle possède aussi une chaleur propre qu’elle tient de son origine et qu’elle dissipe continuellement à la superficie ; enfin, cette planète reçoit des rayons de lumière et de chaleur des astres innombrables parmi lesquels le système solaire est placé. Voila les trois causes générales qui déterminent les températures terrestres».

Joseph Fourier a tenté d’évaluer expérimentalement ces trois composantes.

Avec les deux premières, chaleur solaire incidente et chaleur interne (géothermie), il aboutit à une température moyenne de la Terre très inférieure à celle observée (inférieure à zéro degrés C), il en conclut qu’il faut ajouter à ce bilan un troisième terme, le rayonnement des astres, qui dans les faits est parfaitement négligeable. On est assez loin du rayonnement rétrodiffusé de la Terre, et de l’effet de serre !

On doit cependant reconnaitre qu’il est passé près de bien comprendre ce concept, notamment lorsqu’il rapporte les expériences de Horace-Bénédict de Saussure qui, expérimentalement, avait montré que la température à l’intérieur d’un vase couvert par des lames de verre et exposé au soleil de midi, pouvait atteindre des valeurs très élevées, bien supérieures à celles de la température ambiante extérieure. Joseph Fourier conclut de l’expérience de de Saussure que : «La chaleur acquise se concentre, parce qu’elle n’est point dissipée immédiatement par le renouvellement de l’air et que la chaleur émanée du Soleil a des propriétés différentes de celles de la chaleur obscure». Il y était presque !

John Tyndall d’ailleurs se référera explicitement à ses travaux. Mais on peut légitimement se demander, comme le fait l’historien des sciences américain, James R. Fleming, s’il distinguait bien rayonnement et chaleur.

On doit aussi reconnaître à Joseph Fourier des intuitions remarquables lorsqu’il évoque l’importance pour le climat de phénomènes physiques comme la convection dans l’atmosphère et dans l’océan :

 «La présence de l’atmosphère et des eaux a pour effet général de rendre la distribution de la chaleur plus uniforme. Dans l’océan et les lacs, les molécules les plus froides, ou plutôt celles dont la densité est la plus grande, se dirigent continuellement vers les régions inférieures, et les mouvements de la chaleur dus à cette cause sont beaucoup plus rapides que ceux qui s’accomplissent dans les masses solides en vertu de la faculté conductrice».

Enfin on doit rappeler que dans son ouvrage «Théorie analytique de la chaleur», paru en 1822, il présente, pour la première fois, une théorie mathématique incluant les équations différentielles décrivant la propagation de la chaleur dans les corps solides.
Ainsi plutôt que d’attribuer à Joseph Fourier la paternité de la découverte de l’effet de serre qu’il n’a fait qu’entrevoir, et en dépit de son erreur sur l’importance du rayonnement stellaire sur le bilan de chaleur de la Terre, il faut lui reconnaitre d’avoir le premier posé la question de l’équilibre thermique de la planète et de ses conséquences sur le climat.

À ce titre il est un incontestable précurseur de la question climatique, et s’il n’a peut-être pas explicité totalement l’effet de serre, il a posé précisément la question qui conduira plus tard à un questionnement pertinent sur le bilan énergétique de la Terre :

«pourquoi les gaz atmosphériques sont presque parfaitement transparents pour la chaleur rayonnante incidente du Soleil, mais au contraire en retour freinent le passage de la chaleur obscure ?».

Malgré tout et en dépit de ses considérations novatrices sur le bilan de chaleur de la Terre, ses recherches et ses résultats tombèrent dans un oubli prolongé car, à l’époque, la communauté scientifique n’était pas prête à s’intéresser à des questions jugées marginales, la préoccupation du climat et de son changement éventuel ne se posant encore pas.


John Tyndall (1820-1893)

démontre que la vapeur d’eau est un puissant gaz à effet de serre.

En 1859, trente-cinq ans après Joseph Fourier et d’autres savants, comme Claude Pouillet (1790 - 1868), qui déjà avait contribué à clarifier la question du bilan radiatif de la Terre et tenté de donner des valeurs à ses différents termes, un savant britannique, John Tyndall (1820-1893), reprenant les développements de Josepf Fourier, tente de montrer en laboratoire que les principaux gaz atmosphériques, l’oxygène et l’azote, pouvaient retenir le rayonnement infrarouge émis par la Terre.

Son expérience échoua ; ces deux gaz étaient bien transparents aux rayonnements de grande longueur d’onde.

Cependant, un peu par hasard et en dernier recours, il testa un gaz industriel très commun qu’il avait sous la main dans son laboratoire. Ce gaz, issu du chauffage du charbon, était en fait du méthane presque pur ; et, renouvelant son expérience, miracle, le gaz était presque totalement opaque pour le rayonnement infrarouge.

John Tyndall testa aussi le dioxyde de carbone et obtint le même résultat.

Il existait donc bien dans l’atmosphère des gaz susceptibles de retenir le rayonnement infrarouge et d’induire ainsi un «effet de serre», que l’on n’appelait toujours pas ainsi, mais qui était susceptible d’expliquer la température moyenne de la Terre relativement élevée et voisine de 15 °C (voir encadré).

Mais John Tyndall alla plus loin.

Toujours dans son laboratoire, il s’intéressa à l’ozone et surtout à la vapeur d’eau, seulement partiellement transparente au rayonnement infrarouge mais un peu plus abondante en masse (0,5%) dans l’atmosphère que le dioxyde de carbone (0,4%) et beaucoup plus que le méthane (0, 02%).

TyndallIl montra clairement, en comparant les effets produits par de l’air sec et de l’air de plus en plus humide, que cette vapeur d’eau était un composant atmosphérique clé qui, comme une couverture, retenait la chaleur et garantissait à la Terre la température agréable que nous connaissons.

Tyndall écrit :

«Il est extrêmement probable que l’absorption des rayons solaires par l’atmosphère, comme elle a été déterminée par Mr Pouillet, est due pour l’essentiel à la vapeur d’eau contenue dans l’air »

et plus loin :

« ….cette vapeur d’eau, si destructrice pour les rayons obscurs, est en comparaison assez transparente pour les rayons de lumière. La différence entre la chaleur en provenance du Soleil vers la Terre d’une part et la chaleur rayonnée par la Terre vers l’espace de l’autre est donc grandement augmentée par la vapeur d’eau atmosphérique ».

Et il conclut en invoquant ses prédécesseurs : Horace-Bénédict de Saussure, Joseph Fourier, Claude Pouillet et William Hopkins :

«(je)… considère cette interception du rayonnement de la Terre comme ayant la plus grande influence sur le climat. Si la majeure partie de cette influence est due à la vapeur d’eau, comme l’indiquent les expériences ci-dessus, chaque variation de cet élément atmosphérique doit causer un changement du climat».

Tyndall n’en négligeait pas pour autant le rôle du gaz carbonique et l’atmosphère réelle, mais pour lui l’essentiel était de démontrer que le flux thermique radiatif émis par la Terre était en partie arrêté par certains gaz atmosphériques, même s’ils étaient transparents à la lumière visible ; et le principal de ces gaz était la vapeur d’eau dont la teneur dans l’atmosphère était susceptible de varier dans de grandes proportions et était donc très importante pour le climat. C’était une avancée considérable dans la connaissance des mécanismes générateurs de la variabilité du climat et l’on peut dire que Tyndall est le véritable découvreur de l’effet de serre et de son rôle sur le climat.

Mais à coté de ces approches «physiciennes» de la question climatique au XIXème siècle, d’autres considérations, toujours autour du climat, agitaient aussi une catégorie de scientifiques plus naturalistes.

Ce sont les géologues qui découvrirent que la température moyenne de la Terre avait pu varier à l’échelle des temps géologiques. Ils étaient en particuliers très intrigués par l’ère glaciaire des temps préhistoriques qu’avaient dû connaitre nos ancêtres il y a quelques milliers d’années et qui avaient laissé d’importantes traces sur les continents en Europe et en Amérique du Nord.


Louis Agassiz (1807 – 1873)

démontre l’existence d’une calotte glaciaire ayant recouvert l’hémisphère nord

Parmi ces naturalistes du début du XIXème siècle, où dominaient les géologues, toujours étonnés par les blocs erratiques striés, les moraines, et les restes détritiques divers qu’ils trouvaient au cours de leurs promenades dans les vallées des massifs alpins et qui semblaient témoigner d’une grande extension passée des glaciers, la figure scientifique la plus imposante et la plus connue est celle de Louis Agassiz.

Cet étonnant scientifique cumulait la maîtrise de presque toutes les sciences naturelles. Outre la médecine qui fut sa première profession, il mena des recherches, accompagnées de publications multiples, en géologie, paléontologie, ichtyologie, glaciologie, botanique, zoologie, et d’autres encore comme l’ethnologie et l’anthropologie, sans trop parler de ses théories sur le polygénisme, proche du racisme scientifique, qui l’opposèrent vivement à Charles Darwin à la fin de sa vie. (voir encadré)

 

Sa carrière se déroula entre l’université de Neuchâtel en Suisse dans la première partie de son existence et son expatriation à Boston à l’université de Harvard aux États Unis à partir de 1846.
Louis Agassiz est connu aujourd’hui pour son opposition à Charles Darwin et sa théorie de l’évolution mais surtout son nom reste attaché à la première identification précise, avec des arguments issus d’observations soigneusement analysées, d’un état glaciaire qui aurait affecté le passé de la Terre. Certes d’autres scientifiques de son époque, Horace-Bénédict de Saussure, Jean de CharpentierIgnace Venetz et certains de ses amis, George Cuvier et Alexander Von Humboldt, fameux sociétaires du «Jardin du roi» (aujourd'hui, le Jardin des Plantes) à Paris, avaient aussi cette idée en tête et en discutaient fréquemment.

Mais c’est Louis Agassiz qui le premier en fit une théorie complète et très argumentée, presque immédiatement admise par tous ses contemporains. Ce qui expliquait ce succès c’est l’association qu’il faisait des observations de l’extension des glaciers et de leurs actions sur les paysages, à une étude approfondie de la dynamique de la glace elle-même.

Dans un ouvrage en français : «Études sur les glaciers», il décrivait les mouvements des glaciers, leur croissance, la façon dont ils roulaient et polissaient les rochers en les striant. En parcourant les Alpes suisses, avec ces considérations à l’esprit, il fut convaincu que la Suisse toute entière avait été dans le passé entièrement recouverte de glace, comme un autre Groenland.
Mais la découverte la plus décisive qu’il fit, avec William Buckland, lors d’un voyage en Écosse en 1840, prolongé en Irlande et au Pays de Galles, fut de retrouver les mêmes indices de glaciations passées sur la presque totalité des iles britanniques. Ainsi il devenait de plus en plus évident que ce phénomène d’extensions passées des aires glaciaires avait une dimension régionale, à l’échelle de l’Europe du nord au moins, voire incluait également l’Amérique du nord.

Louis Agassiz annonça sa découverte dans des communications qu’il présenta devant la «Royal Geological Society» de Londres, affirmant qu’une immense calotte glaciaire, semblable à celle du Groenland actuel, avait dû recouvrir les régions d’altitudes élevées des Iles britanniques et des autres pays de l’Europe du nord, incluant la Suisse. Dès lors, l’hypothèse d’un âge glaciaire était confirmée ; il y avait bien eu une période, dans un passé encore mal défini, au cours de laquelle une partie de l’hémisphère nord avait été recouverte de glace comme l’est encore aujourd’hui le Groenland.

Mais quelles étaient les caractéristiques de cet âge glaciaire ? Et comment l’expliquer ?

Des changements de la composition chimique de l’atmosphère et notamment de sa teneur en vapeur d’eau pouvaient en être la cause, car, comme l’avait montré John Tyndall, cette molécule par son abondance était le principal acteur de l’ «l’effet de serre». Mais qu’est-ce qui pouvait expliquer ces variations de la teneur en vapeur d’eau de l’atmosphère ? Et n’y avait-il pas d’autres corps chimiques dont la concentration était susceptible de changer aussi au cours du temps et de faire varier l’effet de serre ? Le gaz carbonique par exemple ?

Svante Arrhenius (1859 - 1927)

lie la teneur en CO2 de l’atmosphère à sa température

À la fin du XIXème siècle, un savant suédois tenta de répondre à ces questions. Il s’attaqua au problème de la cause des glaciations et formula une hypothèse hardie qui laissa ses pairs dubitatifs en qualifiant ses affirmations d’élucubrations théoriques ne correspondant à aucune réalité. Ce savant solitaire, mais connu dans d’autres domaines scientifiques, s’appelait Svante Arrhenius. Il est vrai qu’il n’était pas un spécialiste des sciences de la Terre, ni un observateur, ni un expérimentateur dans ce domaine.

Il était à l’origine un électro-chimiste qui obtint le prix Nobel de chimie en 1903 pour sa théorie de la dissociation électrolytique. Il était attiré par les applications des principes fondamentaux de la physique et de la chimie. C’est à ce titre que dans la deuxième partie de sa vie il s’intéressa à la géophysique et à la grande question qui agitait les géologues de son époque :

pourquoi y avait-il eu dans le passé des épisodes climatiques glaciaires ?

En 1895, il présenta une conférence devant la Société de Physique de Stockholm dans laquelle il affirma qu’une réduction, ou une augmentation, de 50% de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère pouvait induire des mécanismes de rétroaction conduisant à des épisodes glaciaires ou interglaciaires chauds. L’année suivante il présenta un mémoire sur ce même sujet intitulé : «On the influence of carbonic acid in the air upon temperature of the ground» dans lequel il présentait un modèle du bilan énergétique de la planète prenant en compte les effets du gaz carbonique et de la vapeur d’eau.

Il était le premier à impliquer la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère dans les variations de la température moyenne de la Terre pour expliquer l’âge glaciaire.

Svante Arrhenius montrait que si subitement toutes les éruptions volcaniques cessaient ou diminuaient fortement, la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère baisserait, «l’effet de serre» également ainsi que la température.

Cette atmosphère plus froide retiendrait moins de vapeur d’eau et donc l’ «effet de serre» diminuerait encore plus entrainant une nouvelle baisse de température … et ainsi de suite.

Il expliquait ainsi l’âge glaciaire. En sens inverse, une élévation du taux de gaz carbonique dans l’atmosphère, suite à une activité volcanique accrue par exemple, pouvait induire, par effet de serre, une faible augmentation de la température, néanmoins suffisante pour accroitre l’évaporation et le contenu de l’atmosphère en vapeur d’eau qui à son tour augmenterait l’effet de serre et la température, on entrait ainsi par cette boucle d’interactions dans un épisode interglaciaire chaud.

Même s’il se trompait sur l’origine profonde des périodes glaciaires en imaginant que l’impulsion initiale venait de l’activité volcanique, Arrhenius avait mis à jour le processus de rétroactions « feed back» qui tend à intensifier (ou à réduire) un phénomène dans un enchaînement de «cause à effets» démultiplicateur (ou réducteur). Par ailleurs le modèle qu’il avait mis au point, bien évidement à cette époque en y incluant seulement des formules analytiques résolubles «à la main», permettait de calculer la réponse thermique du globe à toutes les variations possibles de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère.

Arrhenius fut ainsi le premier à prévoir la possibilité d’un réchauffement planétaire global consécutif à une augmentation de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère par l’humanité. Il calcula, à la main, ce qui lui prit plusieurs années, et formula la prévision qu’un doublement de la teneur en gaz carbonique atmosphérique de cette époque (fin XIXème siècle), entraînerait probablement un réchauffement de 5 à 6 °C. La proximité de ce chiffre avec celui que donnent les modèles actuels les plus performants est étonnante !

Cependant, comme pour ses prédécesseurs, les prévisions d’Arrhenius furent peu prises au sérieux par les scientifiques de l’époque et rapidement oubliées par beaucoup, à l’exception de quelques géologues avec qui il avait débattu de certaines hypothèses sur les causes des glaciations, comme James CrollThomas Chamberlin ou son ami Gustaf Högbom.

Les géologues étaient les seuls scientifiques de l’époque à s’intéresser aux changements climatiques, certes surtout à ceux des grandes échelles temporelles allant des millénaires aux millions d’années, mais ils restaient attentifs à tout ce qui touchait aux changements climatiques qui avaient affecté le passé et à leurs explications possibles.

James Croll (1821 – 1890)

consolide des hypothèses sur l’origine astronomique des alternances climatiques.

L’un des premiers géologues qui s’est interrogé sérieusement sur l’origine des changements climatiques, et particulièrement sur l’alternance de périodes glaciaires - interglaciaires qui affectaient au moins l’hémisphère nord, est un écossais, James Croll.

Certes, avant lui en 1842, Joseph Alphonse Adhémar (1797 - 1862) avait proposé que le climat pouvait être influencé par des petites variations de la position de la Terre par rapport au Soleil, mais ses arguments, seulement qualitatifs, n’avaient eu presque aucun écho dans la communauté scientifique.

James Croll était le contemporain de John Tyndall et précédait d’une génération Svante Arrhenius qui combattit ses thèses.

Il passa en revue toutes les hypothèses avancées par les scientifiques de l’époque, particulièrement celles des géologues, pour expliquer ces alternances de périodes froides et chaudes relativement récentes et aussi les plus anciennes comme celle supposée chaude du carbonifère.

James Croll avait une formation de physicien et connaissait les avancées récentes de l’astronomie, notamment les travaux de Urbain Jean-Joseph Le Verrier sur le système solaire. Celui-ci avait déterminé la trajectoire des planètes autour du Soleil et étudié plus particulièrement celle de la Terre, une ellipse dont l’excentricité peut varier sur des périodes de plusieurs dizaines de milliers d’années. James Croll pensa que ces variations de la géométrie planétaire pouvaient induire des variations du flux solaire reçu par la Terre.

Dans un article rédigé en 1864 : «On the Physical Cause of the Change of Climate during the Geological Epochs», publié dans «The London, Edinburg and Dublin Philosophical Magazine and Journal of Sciences», il avança l’idée, révolutionnaire pour l’époque, que les variations climatiques pouvaient avoir une origine cosmique, ce qui ne manqua pas de surprendre ses contemporains, notamment John Tyndall et plus tard Svante Arrhénius qui s’opposèrent immédiatement à cette hypothèse.

James Croll écrit :

«Il y a deux phénomènes qui affectent la position de la Terre par rapport au soleil, et qui doivent avoir une influence très grande sur le climat sur Terre : ce sont la précession des équinoxes et les variations de l'excentricité de l'orbite terrestre. Si l'on analyse l'effet combiné de ces deux phénomènes, on verra que les parties boréales et australes du globe sont soumises à une variation séculaire extrêmement lente de leur climat, qui se manifeste par une évolution périodique lente entre des cycles chauds et froids» .

Plus loin il ajoute :

«les variations de l'excentricité de l'orbite de la Terre peuvent influer sur le climat de deux manières : elles peuvent premièrement augmenter ou réduire la quantité annuelle moyenne de chaleur reçue du Soleil, et deuxièmement augmenter ou réduire la différence entre les températures estivales et hivernales ». On ne peut être plus clair !

Ce qui est étonnant c’est que ces idées ont été occultées pendant 70 ans et reprises seulement au XXème siècle par Milutin Milanković (voir plus loin), considéré comme le premier «découvreur» de la théorie astronomique du climat.

 Mais James Croll va encore plus loin dans sa recherche des causes des épisodes glaciaires de l’hémisphère nord. Faisant l’hypothèse que les variations du flux solaire reçu par la Terre modifient l’étendue de la couverture de glace et les schémas de circulations atmosphériques et océaniques, il invoque un possible ralentissement du Gulf Stream.

Et il décrit avec une étonnante précision la circulation océanique durant les épisodes glaciaires qui devait, selon lui, être très différente de ce qu’elle est aujourd’hui :

«les courants océaniques constants, dont le Gulf Stream fait partie, prennent apparemment tous leur départ dans trois grands courants d'eaux froides venant du pôle Sud…… Une partie du courant équatorial Pacifique traverse l'archipel asiatique et rejoint un deuxième courant froid arrivant dans l'océan Indien par le sud. Le courant se dirige alors vers l'ouest, contourne le cap de Bonne-Espérance, puis rejoint le troisième courant austral, qui longe la côte occidentale de l'Afrique pour se diriger ensuite vers l'ouest pour constituer ce que l'on appelle le courant équatorial de l'Atlantique. Ce courant se divise alors en deux parties, la partie principale pénètre dans le Golfe du Mexique et forme le courant que l'on connaît sous le nom de Gulf Stream, l'autre partie se dirige vers le sud en suivant la côte du Brésil. La diminution des courants aériens dans l'hémisphère sud tendrait tout d'abord à réduire les grands courants d'eau froide qui alimentent les courants équatoriaux, ce qui conduirait à son tour à une réduction du courant équatorial de l'Atlantique, qui alimente le Gulf Stream. Le courant équatorial étant réduit, le Gulf Stream serait lui aussi réduit. Le Gulf Stream est cependant affecté par cet état des choses d'une autre manière encore. Actuellement, les alizés sud-est de l'Atlantique sont plus puissants que les alizés de nord-est. La conséquence en est que les alizés sud-est atteignent occasionnellement 10° voir 15° de latitude nord, alors que les alizés nord-est ne franchisent que rarement l'équateur. Or pendant la période glaciaire, ce devait être l'inverse. Le grand courant équatorial de l'Atlantique était donc selon toute vraisemblance considérablement repoussé vers le sud par rapport à sa position actuelle».
Cette description de la circulation océanique et de son évolution au cours des épisodes glaciaires est surprenante dans un texte vieux de cent cinquante ans ! Elle a été corroborée par des données paléocéanographiques récentes, notamment celles du groupe CLIMAP qui dans les années 1970 reconstitua la circulation océanique telle qu’elle était il y a 18 000 ans au cœur du dernier épisode glaciaire.

Thomas Chrowder Chamberlin (1843 – 1928)

considère l’atmosphère comme un milieu appartenant à la géologie.

Un autre géologue, américain, très connu dans le milieu des sciences de la Terre, Thomas C. Chamberlin, a joué un rôle important dans la recherche des causes de la variabilité du climat, particulièrement des épisodes glaciaires.

Il s’intéressait aux mécanismes fondamentaux susceptibles d’expliquer les très importants changements observés dans la faune, la flore et les dépôts sédimentaires au cours des ères géologiques.

Thomas C. Chamberlin représente l’approche géologique par excellence des problèmes posés par l’environnement terrestre, en y incluant le climat. C’est la raison pour laquelle il a joué un rôle important dans ce domaine de recherche et a eu une grande influence sur ses contemporains parmi lesquels Svante Arrhenius.

Il s’est inspiré des résultats d’Arrhenius concernant le rôle des gaz atmosphériques sur l’équilibre thermique de la Terre, mais il l’a aussi beaucoup critiqué, lui reprochant d’avoir une vision du problème climatique trop strictement physicienne, et pas assez globale et géologique.

En 1922, à la fin de sa vie il écrit :

«Ma vision des choses est très différente de celle d’Arrhenius, non seulement en ce qui concerne le modèle géologique, mais aussi vis-à-vis de l’interaction de l’atmosphère et de l’océan. Arrhenius n’a pas développé une théorie géologique mais il a seulement prolongé les suggestions de Tyndall en physicien».

 La grande originalité et l’idée la plus novatrice de Thomas C. Chamberlin est d’avoir considéré que l’atmosphère relevait aussi de la géologie.

Pour lui, si on voulait comprendre ce que les strates géologiques nous enseignaient il fallait connaitre l’atmosphère, comprendre les variations de sa composition et son interaction avec les dépôts sédimentaires.

En interpellant constamment les ténors d’autres disciplines, il préfigure la convergence de toutes les sciences concernées par la question climatique à laquelle nous avons assisté et participé pendant les dernières décennies.

C’est ce qui l’amena à s’appuyer sur les avancées de John Tyndall et Svante Arrhenius en ce qui concerne le rôle des gaz atmosphériques sur la température de la Terre.

Mais inversement, pour lui, les spécialistes de l’atmosphère, comme Svante Arrhenius, devaient aussi prendre en compte toute la dimension géologique des problèmes qu’ils traitaient. C’est ainsi qu’il critiqua sévèrement le physicien pour avoir privilégié le volcanisme comme source principale de carbone dans l’atmosphère. Pour lui cela relevait d’une méconnaissance trop évidente de la Terre et de ses mécanismes fondamentaux.

Pour prendre en compte l’atmosphère dans les cycles géologiques de la Terre et ses climats, Thomas C. Chamberlin décida de centrer son attention sur le cycle du carbone. Il s’interrogeait depuis longtemps sur le rôle dominant du carbone dans l’évolution de la planète, et notamment sur le rôle de son réservoir atmosphérique dans les changements climatiques.

Très au fait des résultats de John Tyndall et Svante Arrhenius, il admit que les variations du contenu en gaz carbonique de l’atmosphère associées à la rétroaction de la vapeur d’eau pouvaient expliquer l’alternance des périodes glaciaires et l’avancée ou le retrait des glaciers durant le quaternaire.

Mais il alla plus loin ; dans son étude du cycle du carbone, il évalua le contenu en carbone des différents réservoirs du système terre. Il proposa des chiffres, notamment pour l’atmosphère (3000 GtC ), éloignés des estimations actuelles (585 GtC avant l’ère industrielle). Il mit en évidence la possibilité de variations importantes de ces concentrations de carbone dans les roches et dans l’atmosphère au cours des âges géologiques et leurs relations possibles avec les changements climatiques.
Mais la question du forçage initial à l’origine des oscillations glaciaires-interglaciaires restait toujours, pour lui, sans réponse claire.

Tomas C. Chamberlin réfutait vigoureusement la théorie des crises volcaniques, proposée par Svante Arrhenius, susceptibles d’apporter un excès de gaz carbonique à l’atmosphère et engendrant ainsi un réchauffement. Il n’ignorait pas les idées défendues par James Croll sur le rôle possible des changements d’orbite terrestre qui exposaient ainsi la Terre à plus ou moins de flux radiatif solaire générant ces oscillations climatiques. Mais il considérait ce phénomène comme mineur et de trop faible amplitude pour expliquer l’ampleur des variations thermiques observées. Il s’en tenait à l’effet de serre généré par des variations couplées de la teneur de l’atmosphère en vapeur d’eau et en gaz carbonique comme proposé par John Tyndall et Svante Arrhenius.

Cependant cette théorie des gaz à effet de serre elle-même allait être combattue et abandonnée au début du XXème siècle au grand désappointement de Thomas C. Chamberlin qui en rejeta la responsabilité sur Svante Arrhenius et ses considérations purement physico-chimiques.

Il est curieux de constater que les deux approches qui sont maintenant sur le devant de la scène et constituent les piliers des théories du changement climatique, la théorie du forçage astronomique et celle de l’effet de serre, aient été au cours du temps combattues et oubliées par leurs auteurs successifs, eux-mêmes rejetés dans l’ombre. Mais les hypothèses astronomiques de James Croll ressurgirent malgré tout au XXème siècle, toujours autour de la question de l’alternance régulière des périodes glaciaires et interglaciaires à un rythme principal de 100 000 ans environ. C’est ce qui amena un astronome et géophysicien Serbe, Milutin Milanković , à proposer, dans les années 1930, une théorie originale mais qui suscita également en son temps beaucoup de scepticisme.

Milutin Milanković (1879 – 1958)

calcule précisément l’insolation au sommet de l’atmosphère en fonction de la position de la Terre par rapport au Soleil.

Milutin Milanković, comme James Croll 70 ans avant lui, fit l’hypothèse que ces oscillations climatiques avaient une origine astronomique.

Milutin Milanković qui bénéficiait des solutions d’une meilleure précision apportée aux équations régissant le mouvement des planètes, calcula l’insolation d’été au sommet de l’atmosphère pour différentes latitudes en prenant en compte les variations  :

- de l’excentricité de l’orbite de la Terre autour du soleil,

- de la précession des équinoxes

- de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre (obliquité).

Il travailla seul pendant près de 30 ans sur cette question, élaborant une théorie complète du climat depuis le calcul des paramètres orbitaux terrestres jusqu’à la détermination des températures en passant par l’insolation.

Il avait en tête que l’insolation d’été des hautes latitudes de l’hémisphère nord était un paramètre critique pour expliquer la succession des cycles glaciaires-interglaciaires. Des étés frais favorisent la persistance des neiges hivernales. L’albedo élevé qui en découle accentue encore le refroidissement et donc l’accumulation de neige au cours des cycles saisonniers suivants.
Comme James Croll, Milutin Milanković se heurta au scepticisme de ses contemporains notamment des géographes en place comme Albrecht Penck.

Sa théorie était perçue par ses pairs comme une spéculation sans fondements réels ; un seul de ceux-ci, Alfred Wegener, lui aussi auteur d’une thèse hardie rejetée par ses contemporains : la dérive des continents, s’intéressait à ses travaux.

Alfred Wegener prit en compte certains des résultats de Milutin Milanković et entretint avec lui une correspondance scientifique suivie sur son hypothèse astronomique.

La thèse de Milutin Milanković fut rejetée pour deux raisons principales :

  • D’une part les variations de flux solaire envisagées étaient très faibles (quelques %) et hors de proportion avec l’ampleur des changements thermiques observés.

  • Mais surtout la faiblesse principale de cette théorie tenait à une simplification trop grossière de la réalité : Milutin Milanković ne prenait pas en compte la redistribution de l’énergie par les circulations atmosphériques et océaniques. Et de ce fait, l’évolution climatique de l’hémisphère sud devait être opposée à celle de l’hémisphère nord puisque les insolations d’été des deux hémisphères devaient être inversées ; l’une, au sud serait minimale lorsque l’autre au nord était maximale. Or les observations géologiques disponibles à l’époque contredisaient ces conclusions.

Il fallut attendre les années 1970 pour que les améliorations apportées aux reconstitutions paléoclimatiques d’une part, et les progrès des calculs orbitaux d’autre part, puissent permettre des analyses plus fines des corrélations existantes entre ces paramètres de nature très différentes et remettre au goût du jour la théorie de Milutin Milanković.

Ces analyses furent menées par plusieurs groupes de paléoclimatologistes. L’une des difficultés qu’ils devaient surmonter était de caractériser quantitativement les glaciations. Pour cela ils utilisèrent un paramètre représentant le volume de la glace déduit de la mesure du rapport isotopique 18O/16O dans le calcaire des coquilles de foraminifères benthiques qu’ils extrayaient de leurs carottes de sédiment.

On peut considérer que l’article qui fut décisif pour reconsidérer la thèse de Milutin  Milanković fut celui signé par Hays, Imbrie et Shackleton publié dans le journal «Science», en 1976.

Ces auteurs apportèrent définitivement des preuves de la validité de la théorie de Milutin Milanković par des données chiffrées.

Au cours des derniers 1024 000 ans, ils retrouvèrent la totalité des périodicités prédites par la théorie astronomique, celles de 100 000 ans liée aux variations de l’excentricité de l’orbite terrestre, celles de 41 000 ans liées à l’inclinaison et celles du doublet 23 000 – 19 000 ans caractéristique de la précession.

Le succès était total. Les paléoclimatologues en conclurent que les variations de l’insolation initiées par les mouvements de la Terre sur l’écliptique agissaient comme un stimulateur du système climatique en lui imposant son tempo, amplifié ensuite par un enchaînement de boucles d’actions-rétroactions, dans lesquelles entrait en jeu la biosphère, pour expliquer l’amplitude de ces oscillations glaciaires-interglaciaires. Milutin Milanković avait enfin raison mais il était mort depuis 20 ans !

Guy Steward Callendar (1898-1964)

montre qu’il existe un réchauffement climatique en cours dont l’humanité est responsable.

Plus près de nous, un autre pionnier original mérite notre attention parce qu’il brisa la chape de scepticisme sur le réchauffement climatique qui faisait toujours douter la communauté scientifique dans la première moitié du XXème siècle. Il s’agit de Guy Steward Callendar, un britannique, qui eut l’audace de se présenter devant la «Royal Meteorological Society» à Londres en 1938 pour parler du climat alors qu’il n’avait aucune qualification pour cela, n’étant pas même un scientifique !

Il était ingénieur, mais passionné de météorologie et il tenait à jour un relevé d’observations météorologiques personnel. Il déclara, devant les météorologues britanniques un peu ébahis, que ses observations et celles qu’il avait soigneusement analysées indiquaient un incontestable réchauffement de la planète. Et il osa affirmer qu’il connaissait le coupable de ce réchauffement insolite : nous les hommes et notre industrie qui brule des millions de tonnes de combustibles fossiles et injecte autant de gaz carbonique dans l’atmosphère, ce qui change le climat !

Cette ferme conviction, aussi audacieusement exprimée, impressionna son auditoire de la «Royal Meteorological Society» et, grâce à lui, dès les années 1930, l’hypothèse que le climat pouvait changer et se réchauffer sous l’effet des activités humaines, appelé par certains le «Callendar effect», progressa et commença de s’installer dans l’opinion d’une fraction de plus en plus grandissante d’acteurs des sciences de la Terre, malgré des sceptiques encore majoritaires.

Pourquoi cet oubli des pionniers ?

On peut se poser des questions sur les raisons de cette absence de continuité de pensée et d’intérêt pour le climat entre des savants du XIXème, en avance sur leur temps, et ceux du XXème siècle, un peu en retard !

Ces travaux au caractère presque prémonitoire, proposés par des pionniers oubliés, furent seulement remis récemment dans l’actualité par des historiens des sciences.

Il fallut aussi que quelques chercheurs isolés, non spécialistes mais écoutés du monde scientifique comme l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, réalisent une véritable histoire du climat en tant que tel aux époques historiques récentes pour que l’on se pose la question de l’évolution future du climat et de son impact possible sur les sociétés humaines.

Mais on s’explique toujours assez mal, pourquoi, jusque dans les années 1960, ces précurseurs furent ignorés et pourquoi l’ensemble de la communauté scientifique potentiellement concernée, météorologues, physiciens et chimistes de l’atmosphère, océanographes, géologues, géophysiciens se désintéressaient du problème climatique.

Une première réponse explicative de cet oubli des premiers scientifiques qui s’étaient intéressés au climat tient au fait que si le climat était l’affaire de tous il n’était de la responsabilité de personne.

Chaque discipline avait son compartiment :

  • la Terre solide,

  • l’atmosphère,

  • l’océan,

  • le milieu vivant

et traçait son sillon sans se soucier des interactions.

La climatologie n’était qu’une discipline géographique alors que la climatologie dynamique exigeait de prendre en compte la Terre dans son ensemble.

Une seconde explication, vient de ce que les interprétations successives qu’avaient fait ces scientifiques du passé paraissaient incomplètes, voire erronées ou fantaisistes. Certains de ces pionniers, aussi, tiraient de leurs spéculations des conclusions à l’opposé des préoccupations pessimistes qui se firent jour plus tard.

Ces spéculations trop optimistes décrédibilisaient leurs travaux. Ainsi Svante Arrhenius et John Tyndall, puis plus tard Steward Callendarse félicitaient du réchauffement possible de la Terre que prévoyaient leurs théories de l’accroissement de l’effet de serre. Pour eux ce réchauffement serait bénéfique pour l’agriculture et la vie des populations des hautes latitudes et contrebalancerait le refroidissement à venir, atténuant ainsi la prochaine glaciation.

Enfin la complexité même de la question scientifique du climat avec ses innombrables boucles d’interactions, actions et rétroactions, liant les différents milieux terrestres et extra-terrestres (Soleil) impliqués, paraissait hors de portée pour certains scientifiques et pouvait même les conduire à suivre Newton qui jugeait que les caprices du climat relevaient de la volonté divine. James Croll lui-même s’est beaucoup interrogé sur Dieu et la science. On comprend ainsi plus aisément que la quête d’une connaissance du climat par des voies rationnelles ait pu tarder à se mettre en place.

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