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Témoignage à l'occasion du 10ième anniversaire du lancement.

Raymond Zaharia 

Le 7 décembre 2011, le satellite Jason-1 a franchi le cap de ses 10 ans en orbite.

Ayant passé près de 25 ans au Cnes sur des sujets comme SPOT-1, la filière Ariane, et d'autres programmes de l'Agence Spatiale Européenne, (sans oublier la refonte de son... Règlement Financier !), ayant terminé ma carrière fin 1999, après avoir en quelque sorte inauguré, cinq ans plus tôt, la fonction de Responsable du programme d'Océanographie Spatiale, créée par Gérard Brachet et Alain Ratier, cet anniversaire ne peut laisser indifférent l'ancien rédacteur du Dossier de programme Jason-1... que je suis !

C'est pour moi l'occasion de partager quelques souvenirs de cette période passionnante où, grâce à l'action et à la vision de mes prédécesseurs en charge du programme TOPEX-Poséïdon, la difficile transition de la recherche aux applications qui a conduit à l'émergence de l'océanographie opérationnelle, a pu être engagée. C'est aussi un moyen de proposer certains des enseignements que l'on devrait en tirer !

Faire reconnaître par la collectivité l'intérêt de reconduire sur plusieurs décennies une campagne de mesures initialement prévue pour quelques années... est une démarche assez illustrative des difficultés du dialogue entre Science et Société !

Il est assez naturel pour des scientifiques et des ingénieurs de souhaiter prolonger une expérience qui a bien marché ! Côté agences spatiales, surtout soucieuses de promouvoir innovations et nouveaux thèmes de recherche, il n'est pas habituel d'offrir un second ticket de vol, sauf si des agences opérationnelles et des utilisateurs potentiels existent... de sorte qu'on peut escompter qu'un jour... ils se manifesteront, et réclameront la permanence des observations nouvelles offertes par le spatial !

Or, une telle expression d'intérêt de la part d'utilisateurs, (qui ne sont pas tous informés - ou convaincus - du progrès apporté par les observations spatiales), est assez improbable... Et cela... d'autant plus qu'il s'agit en général d'une pluralité d'applications assez disjointes, dont aucune ne semble d'importance suffisante pour justifier un nouveau satellite ! C'était l'un des enjeux de Jason-1 que de préparer un tel changement de portage ! 

Sans craindre de donner une réalité à la "série Jason", (assez discrètement évoquée dans l'accord avec la Nasa), le dossier de programme de l'automne 1996 insistait sur l'intérêt de prolonger sur au moins 20 ans la série de 4 ans de mesures de haute précision de la hauteur dynamique, que venait d'achever le satellite franco-américain TOPEX-Poséïdon, (dont il était prévu que Jason-1 prenne le relais au tournant du siècle).

Je me souviens de vives discussions autour de l'argument avancé dans le dossier, selon lequel une telle série ininterrompue de mesures du niveau moyen des mers, pourrait être un indicateur supplémentaire du changement climatique ! 

Je me souviens de notre soulagement, quelques mois plus tôt, lorsque nous avions constaté que le panneau solaire de TOPEX-Poséïdon se dégradait moins vite que prévu ! (En dépit d'un niveau de radiations plus élevé que pour d'autres satellites d'observation de notre planète, qui évoluent en général 500 km plus bas que TOPEX-Poséïdon).

Cette longévité annoncée... permettait d'espérer que la série de mesures entamée fin 1992 se poursuivrait jusqu'à la mise en orbite de Jason-1, et que l'inter-étalonnage crucial de ces 2 systèmes de haute précision, totalement indépendants, serait possible pendant quelques mois.

Faute de réussir ce rendez-vous en orbite de TOPEX-Poséïdon avec son petit frère... c'est-à-dire privés de la possibilité de réaliser plusieurs mois de vols en formation serrée plusieurs mois , (à peine une minute d'écart), on ne disposerait que de 2 séries de mesures distinctes et distantes... (en l'absence d'une période de recouvrement entre les 2 systèmes).

Ces mesures décousues, (comme ce fut le cas, hélas, pour les divers instruments, français, anglais, ou américains, dédiés au bilan radiatif du globe terrestre), n'auraient pas du tout eu le même intérêt ! Notamment pour ce qui est de livrer un nouvel indicateur des conséquences de... la modification en cours de la composition chimique de notre atmosphère !

Il fallait donc une certaine audace pour manier l'argument: "Série ininterrompue de mesures très précises de la hausse du niveau moyen des mers".

Quinze ans plus tard... comment ne pas se réjouir en constatant que les équipes du Cnes et de la Nasa ont réussi les 2 rendez-vous de Jason-1 en orbite... qui étaient indispensables au succès:

  • entre TOPEX-Poséïdon et Jason-1, au cours des 3 premiers trimestres 2002

  • puis entre Jason-1 & Jason-2, au cours du second semestre 2008.

De la sorte, on dispose déjà d'une série ininterrompue de 19 ans de mesures. Le futur rendez-vous entre Jason-2 et Jason-3, (2014), devrait permettre, sauf pépin au lancement de Jason-3, d'étendre cette série sur 25 ans, réalisant ainsi l'objectif visé dans le dossier de programme de 1996 : une série de mesures de haute précision, prolongée sur au moins 20 ans ! 

Cerise sur le gâteau : la prise en considération dans le 4ieme Rapport du GIEC (2007) de plus de 13 ans de mesures du niveau moyen des mers, livrées par TOPEX-Poséïdon ou par Jason-1 ! 

Les différents objectifs de performance ou de durée de vie affichés il y a 15 ans pour Jason-1, ont tous été atteints ou dépassés ! Lorsque je rencontre mes anciens collègues du Cnes et de la Nasa, conscient de l'acharnement dont ils ont fait preuve... des prouesses qu'ils ont accomplies pour en arriver là... j'ai l'habitude de citer, en l'adaptant, une ancienne pub de Sony : 

"Nous en avons rêvé, vous l'avez fait !"

Merci Albert Auriol, Jean-Paul Berthias, Gerard Brachet, Anny Cazenave, Sophie Coutin-Faye, Philippe Escudier...

Merci Jean-Louis Fellous, Philippe Gaspar, Michel Lefebvre, Christian Le Provost, Yves Ménard... 

Merci Jean-François Minster, François Parisot, Jacqueline Perbos, Alain Ratier, Gérard Zaouche !

Je ne sous estime pas l'injustice qui consiste à ne citer qu'une catégorie d'acteurs du spatial, qu'une partie des bonnes fées... qui, parfois depuis ~30 ans, ont consacré leur énergie à cette aventure scientifique et technique, qui fut aussi une aventure humaine ! Il m'était difficile de porter témoignage sans citer au moins les noms de ceux, coté français, dont l'implication a été décisive !

Que mes collègues et amis américains, anglais, français, australiens, tous ceux que j'oublie, bien qu'ils aient partagé nos joies et nos... soucis, me pardonnent !

Le présent témoignage pourrait s'achever ici... Cependant, au delà de l'évocation plaisante de cette incroyable Success Story... il serait dommage, il me semble, de passer sous silence les moments critiques, et les facteurs institutionnels qui auraient pu mettre en échec, l'étape si difficile qu'est la transition de la recherche aux applications... (Jason-2 et Jason-3 sont des projets au cours desquels les agences spatiales ont pu passer le relais aux agences opérationnelles que sont Eumetsat et la NOAA).

En premier lieu, les divers processus de décision à synchroniser, qui sont peu compatibles avec une... dure réalité de notre métier:
Tout ce qui n'est pas décidé aujourd'hui a peu de chances de voler dans 5 ans !

Les calendriers de décision de programmes en coopération bi ou multi-latérale n'ont guère de raison de coïncider avec le calendrier idéal à respecter pour garantir tant soit peu le No gap... c'est-à-dire l'absence d'interruption des observations, un événement qui peut constituer une perte irréparable !

La séquence 2002-2004 de renouvellements successifs des responsables des agences spatiales ou opérationnelles concernées, se produisit... juste au moment où il devenait urgent de lancer la construction de Jason-2 ! (dont le lancement était initialement prévu en 2006, 5 ans après celui de Jason-1).

Le Cnes était sans doute le seul à avoir un peu préparé cette étape, (notamment en incluant dès 1998 Jason-2 dans son Plan à Moyen Terme). Cependant, cette disposition ainsi que celles décrites dans le dossier de programme Jason-1, approuvé fin 1996, étaient inconnues, (et en tout cas sans valeur contraignante), de la nouvelle direction du Cnes (comme cela fut souligné en 2003 par la Commission de Réflexion sur la Politique Spatiale).

Finalement, la prise de décision, (quadripartite), pour construire et lancer Jason-2 en tant que modèle récurrent de Jason-1, fut prise à l'automne 2004. Comme Jason-2 comportait peu de modifications par rapport à Jason-1, il put être construit, testé, et lancé en moins de 4 ans ! (Tandis que le processus de décision impliquant 4 agences, entamé fin 1997, a duré... 7 ans !).

Surtout, la longévité de Jason-1, (digne héritier sur ce plan aussi... de TOPEX-Poséïdon !), a permis d'accommoder ces vicissitudes !

Entre fin 2008 et l'été 2009, au moment où Eumetsat et la NOAA durent à leur tour décider la construction de Jason-3, il y eut une nouvelle phase d'inquiétude vis a vis du calendrier, toutefois moins longue que pour Jason-2. Il est difficile de parler d'un processus apprenant... car les circonstances (sinon les acteurs) de 1996, de 2004, et de 2009 sont largement différentes.

La relative rapidité de la décision concernant Jason-3 est sans doute liée au fait que l'impératif calendaire est désormais reconnu ! Les agences opérationnelles ont su limiter le risque d'un trou, plus ou moins irréparable, dans une série de mesures concernant, entre autres, des processus climatiques interannuels peu, ou mal, représentés dans les modèles !

Pour conclure, en tenant compte du satellite Sentinel 3A, (l'un des éléments du programme post Envisat de l'ESA on constate qu'une solution existe, (du moins pour les 5 ou 6 prochaines années), en ce qui concerne la pérennité des mesures de haute précision de la topographie dynamique de l'océan mondial.

Cependant, il ne s'agit que de l'un des  5 paramètres océaniques accessibles depuis l'espace ! La question demeure de la continuité des autres observations utiles, tant pour l'océan que pour le climat. Comment garantir la permanence des mesures des grandeurs géophysiques que les organismes internationaux appellent Essential Climate Variables ?

Depuis plusieurs années, sous l'impulsion de Jean Labrousse, le Club des Argonautes a proposé  une Veille Mondiale Océan et Climat (VMOC), analogue à la Veille Météorologique Mondiale. La VMM est un tissu d'accords intergouvernementaux, sous l'égide de l'OMM, qui s'appuient sur les agences et organismes metéo nationaux. De la sorte, la poursuite des observations de l'état physique de  l'atmosphère, condition nécessaire à la publication de bulletins de prévision, est relativement protégée contre les remises en cause périodiques de telle ou telle catégorie  dépenses publiques.

En cette période de RGPP et de vagues d'austérité sur l'Europe... il me semble encore plus opportun d'étendre à l'océan et au climat des dispositions qui ont fait leurs preuves, depuis plusieurs décennies, en ce qui concerne la prévision numérique du temps.

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