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François Barlier avec le concours des membres du Club des Argonautes

Introduction

La manière dont tourne la Terre dépend de la façon dont elle est faite. Observer la rotation de la Terre permet en retour d’avoir des informations fondamentales sur la constitution de la Terre et sur son évolution liée à la redistribution spatiale et permanente des masses et de leur quantité de mouvement. En effet la Terre n’est pas un corps solide ; c’est un corps élastico-visqueux fait de couches concentriques de différentes compositions :

  • une graine solide,
  • un noyau liquide,
  • un manteau visqueux,
  • une couche solide, la lithosphère
  • et la croûte terrestre,

le tout entouré d’une couche liquide, les océans, et d’une couche gazeuse, son atmosphère. De nombreuses interactions et échanges, très complexes et variables au cours du temps, existent entre les différentes couches.
On observe notamment une redistribution des masses et des échanges de quantité de mouvement en relation notamment avec des phénomènes météorologiques, climatologiques, océanique, hydrologique.

Comment cela impacte la rotation de la Terre est une question qui est abordée ci-dessous.

Les paramètres de la rotation de la Terre

La rotation terrestre est caractérisée par un axe instantané de rotation qui se déplace sur la croûte terrestre (c’est le mouvement du pôle) et dans l’Espace (c’est le mouvement de précession-nutation).

L’Espace est défini par le système de références célestes, lICRF ou International Celestial Reference Frame adopté par les instances internationales, astronomiques, géodésiques, géophysiques.

La rotation est aussi caractérisée par la vitesse de rotation de la Terre autour de cet axe, vitesse qui est variable mais qui définit la longueur du jour (la LOD ou - Length Of Day-). Comme on le sait en accord avec la mécanique d’un solide en rotation, ces cinq paramètres ne sont pas strictement indépendants, mais les nouvelles techniques d’observation, notamment spatiales, permettent de les déterminer séparément de manière très avantageuse et avec une très grande précision (environ : 0,007 milliseconde de temps - noté ms - et 0,1 milliseconde de degré d’arc ou milli-arcseconde - noté mas -).

La vitesse de rotation de la Terre autour de son axe principal

La vitesse de rotation de la Terre n’a jamais été constante au cours des temps géologiques ; elle a décru continuellement en moyenne mais avec cependant des fluctuations importantes tantôt un peu plus rapide que sa valeur moyenne, tantôt au contraire un peu plus lente. Il en résulte que la durée du jour n’a jamais non plus été constante. Quand la Terre tournait sensiblement plus vite, il y a quelques centaines de millions d’année, la durée du jour était ainsi beaucoup plus courte, elle était d’environ 22 heures il y a 350 millions d’années ; ce faisant le nombre de jours dans l’année correspondant au temps nécessaire au mouvement de la Terre autour du Soleil était plus grand, aux environs de 400 jours. On peut noter que ceci est compatible avec une décroissance moyenne de 2 ms par siècle de la durée du jour sur ces temps géologiques, comme on a pu l'estimer en comptant les stries quotidiennes dans les anneaux de croissance annuels des coraux fossiles sur ces temps géologiques.

La vitesse de rotation de la Terre dépend de plusieurs facteurs tels que :

  • le caractère élastico-visqueux de la Terre et l'attraction gravitationelle de la Lune qui la ralentissent (phénomène de marée),
  • le rebond post glaciaire qui l'accélère,
  • le mouvement des milieux fluides que sont l'atmosphère, l'océan, les glaciers et les cours d'eaux,
  • les effets saisonnier ou interannuel comme le phénomène El Niño.

Ces éléments inter-agissent entre eux et peuvent même se neutraliser à certaines périodes.

L'origine de la décroissance séculaire de la vitesse de rotation de la Terre est désormais assez bien comprise. La Terre étant un corps élastico-visqueux, l'attraction gravitationnelle de la Lune crée un bourrelet autour de la Terre dont l’axe n’est pas strictement aligné avec la direction de la Lune, ce qui serait le cas si la Terre était un corps parfaitement élastique. Il y a un petit angle de déphasage entre les deux axes qui génère un couple de freinage réduisant progressivement la vitesse de rotation de la Terre, et ce faisant, en accord avec les lois de la mécanique céleste, freine aussi progressivement la vitesse du mouvement de la Lune autour de la Terre, Lune qui s’éloigne ainsi de la Terre au rythme actuel de 3,8 cm/an. Dans le langage de cette mécanique, on dit alors qu’il y a transfert du moment cinétique de rotation de la Terre au moment cinétique du mouvement de la Lune autour de la Terre, car on peut considérer que le moment cinétique total de l'ensemble est conservé. Ceci s’accompagne aussi automatiquement au sens de cette mécanique d’une diminution de l’énergie cinétique de rotation de la Terre sur elle-même. Pendant longtemps les astronomes et les géophysiciens se sont demandés où pouvait se trouver dissipée cette énergie car une première explication, correcte mais insuffisante, donnait la dissipation des marées lunaires dans les mers peu profondes mais cela ne pouvait expliquer qu’une partie de cette dissipation d’énergie. Les mesures du niveau des mers par altimétrie spatiale (mission spatiale franco-américaine TOPEX/Poséidon lancée en 1992) ont apporté la solution : les marées lunaires (en fait les marées luni-solaires) se dissipent également dans des mers profondes contre les dorsales océaniques en engendrant des ondes internes. Ces ondes ont une signature altimétrique très faible en surface de l’ordre du centimètre ; on croyait au départ qu'il n’était pas possible de la mesurer mais cela a été fait.

L’interprétation des données d’observation de la LOD montre qu’un autre phénomène doit aussi être pris en compte pour comprendre correctement les variations à très long terme de cette LOD ; il s’agit du rebond post glaciaire lié à la déglaciation de la Terre qui a eu lieu principalement dans les régions septentrionales de latitude élevée ; cette déglaciation a commencé il y a environ 20 000 ans, mais elle se traduit encore aujourd'hui par une lente remontée continue de l'altitude de certains pays nordiques au-dessus du niveau de la mer (en prenant en compte l'augmentation du niveau moyens des mers) ; elle est notamment bien mise en évidence dans les pays scandinaves. Au niveau de la Terre considérée globalement, ceci se traduit par une redistribution des masses autour de l’axe principal d'inertie de la Terre avec une lente diminution séculaire de l’aplatissement de la Terre qui devient progressivement moins aplatie au pôle ; globalement il y a un transfert de masses des régions de basses et moyennes latitudes en direction des régions polaires ; il génère ainsi une diminution du moment principal d’inertie et donc d’après les lois de la mécanique, il génère une augmentation de la vitesse de rotation de la Terre. Ce phénomène est en opposition avec le premier phénomène lié au freinage de la rotation par les marées qui génère au contraire une diminution de cette vitesse de rotation. On peut penser pour comprendre ce genre de phénomènes au patineur qui rapproche plus ou moins ses bras de son corps pour tourner plus ou moins vite. La diminution de l’aplatissement est équivalente à ce phénomène. D’une valeur théorique de l’augmentation séculaire de la LOD de 2,3 ms/siècle due au phénomène de dissipation de la marée lunaire, on peut en déduire une nouvelle valeur corrigée de la LOD soit environ 1,8 ms/siècle. Cette valeur est de fait plus proche de ce qui peut être observé aujourd'hui ; ainsi à partir d’une série de l’IERS (International Earth Rotation Service à l’Observatoire de Paris/ département du Syrte) de 1830 à 2015- la série dénommée "C 02" de l’IERS – on estime l’augmentation de la composante séculaire de la LOD à environ 1,5 ms/siècle pour cette période et cette série. Cependant, on observe en même temps de grandes fluctuations de plusieurs millisecondes de la LOD à caractère multidécennal ce qui gêne l'estimation exacte de la composante séculaire (figure 1 ci-dessous).

Figure 1 – Variation de 1830 à 2000 de la durée du jour (LOD) (d’après l’IERS-Syrte- Observatoire de Paris, série C 02). On observe bien une tendance à la croissance de la LOD qui croit sur cette figure selon un rythme proche de 1,5 ms/siècle.

Un point complémentaire doit être donné maintenant. La variation séculaire de l’aplatissement terrestre déterminée aujourd'hui par télémétrie laser avec grande précision est une autre façon d'estimer la composante séculaire de la LOD ; elle confirme ses résultats ; comme on l'a dit, il y a en effet une relation physique entre la LOD et la variation de l’aplatissement de la Terre. Cette variation temporelle peut être déterminée avec grande précision par des mesures de télémétrie Laser sur les satellites comme Lageos, Starlette ; la comparaison de la LOD avec cette dernière permet alors de confronter et de conforter les résultats obtenus sur des principes très différents et d'assurer une bonne fiabilité des résultats.

À partir de différentes analyses de la LOD, on peut observer en plus de ce qui a été dit des écarts entre observation et modélisation qui traduisent des variations, soit à caractère irrégulier de la LOD, soit à caractère multidécennal (plusieurs dizaines d’années) ; l’amplitude relative de ces variations peut atteindre plusieurs millisecondes et parfois beaucoup plus et peut être attribuée pour partie après analyses et discussions à des couplages noyau-manteau ; il y a des échanges de moments cinétiques entre le manteau et le noyau liquide, soit par un couplage de nature électromagnétique ou par un lien avec la topographie de la frontière noyau-manteau ; on ne sait malheureusement pas encore très bien les modéliser et bien les comprendre et l’impact exact reste un problème ouvert. À noter que dans ces analyses, il est nécessaire de prendre en préalable en compte tout ce qui peut être bien connu par ailleurs. Ainsi on sait modéliser les variations induites par les composantes zonales des marées luni-solaires qui doivent donc être prises en compte a priori, et cela pour pouvoir ensuite estimer le plus correctement possible les contributions d’autres sources géophysiques envisageables, celles en particulier d’origine atmosphérique, océanique, hydrologique. Il y a enfin des variations de la vitesse de rotation avec des périodes sensiblement plus courtes à caractère annuel, semi-annuel, saisonnier (figure 2) et même à caractère diurne et semi-diurne qui sont devenues observables en dépit de leur petitesse (seulement quelques dizaines de microsecondes) grâce à la technique de l’interférométrie à grande base (VLBI ou Very Long Base Interferometry).

Figure 2 – Corrélation entre la variation observée de la LOD (en rouge) et sa variation théorique, liée aux mouvement des enveloppes fluides que sont l'océan et l'atmosphère. On peut en effet la calculer à partir de données météorologiques et altimétriques (en bleu) (d’après l’IERS- Syrte –Observatoire de Paris).

De même, les composantes de marée diurnes et semi-diurnes de la LOD se corrèlent de manière remarquable avec les prédictions du moment angulaire de la marée de l’océan mondial issues de modèles fondées sur des données altimétriques du satellite Topex-Poséïdon (figure 3, d’après B.F Chao, EOS vol.84, n°16, 2003).

Figure 3 - Les composantes de marée diurnes et semi-diurnes (en bleu) se corrèlent de manière remarquable à partir des prédictions (en rouge) du moment angulaire de la marée de l’océan mondial issues de modèles fondées sur des données altimétriques du satellite Topex-Poséïdon (d’après B.F Chao, EOS vol.84, n°16, 2003). Pour le lecteur intéressé, voir sur cette page, les trois graphes donnant respectivement les corrélations de la LOD avec le moment angulaire du noyau modélisé sur le long terme (voir la variation de la LOD sur la Figure 1), les corrélations de la LOD avec le phénomène El Niño (à comparer aussi avec la Figure 4) et à nouveau la corrélation de la LOD avec des composantes de marée diurne et semi-diurne en la situant dans le temps.

La qualité et la complémentarité des observations disponibles permettent de mettre en évidence de petites variations de la vitesse de rotation liées au rythme des saisons.

Comme effet saisonnier, on doit noter un ralentissement de cette vitesse de rotation au printemps (nord) et une augmentation en automne (nord). On observe aussi des anomalies de vitesse générées avec le développement du phénomène océanographique bien connu El Niño (figure 4 et aussi figure 3).

Figure 4 - Corrélation entre la durée du jour et l’indicateur (SO1) de El Niño (SO1 est fonction de la différence de pression entre Tahiti et Darwin(Australie) (d’après A.Cazenave, et Kurt Feigl, formes et mouvements de la Terre, satellites et géodésie, la croisée des sciences, CNRS éditions -Belin- 1994 ).

Ces variations sont liées en effet à des variations importantes du régime des vents induisant des échanges de moments cinétiques entre Terre solide et enveloppes liquides et gazeuses. Dans le cas du phénomène El Niño, on sait en effet que le régime des vents alizés qui soufflent dans les zones équatoriales et tropicales du Pacifique est profondément modifié voire inversé. On sait aussi que ce phénomène débute par un transfert d'une importante masse d'eau de l'ouest du Pacifique vers l'est. Finalement, si l’on porte sur un même graphique sur une durée de quelques années, 2008-2012 (figure 2), la variation de la LOD observée et celle calculée à partir du moment cinétique d’origine atmosphérique et océanique, on observe une corrélation excellente. En résumé, on sait très bien comprendre les fluctuations de la vitesse de rotation de la Terre sur le court terme. Sur le plus long terme, le problème est plus ouvert avec des questions non encore bien résolues.

La décroissance séculaire de la vitesse de rotation de la Terre peut même se trouver totalement masquée pendant plusieurs décennies et paraître même ne plus exister, voire accélérer dans le sens opposé. Il n'est plus nécessaire de ce fait de faire des sauts de secondes intercalaires additionnelles pour que le Temps Universel Coordonnée qui sert de temps légal, fondé sur les horloges atomiques, puisse rester toujours assez proche d'un temps universel fondé sur la vitesse de rotation de la Terre (jadis utile pour des raisons de navigation maritime, mais toujours maintenu pour des raisons politiques, avec l'impossibilité d'obtenir à ce jour un accord unanime des pays concernés ) ; ainsi entre 1999 et 2004, il n'y a pas eu de sauts de secondes intercalaires.

Le mouvement du pôle

L’axe instantané de rotation de la Terre perce la croûte terrestre en un point qu’on appelle le pôle instantané. Ce pôle dont on détermine les coordonnées cartésiennes dans un plan tangent à la Terre à partir d’un point «origine» conventionnelle se déplace continûment sur la croûte terrestre (dans l’océan Arctique ce point origine est proche (quelques mètres) du pôle d’inertie de la figure de la Terre et proche aussi du pôle nord géographique conventionnel - voir l’encadré hors texte sur les définitions des différents concepts de pôles utilisés ; on peut déjà noter que dans l’océan Arctique ce point « origine" est proche(quelques mètres) du pôle d’inertie de la figure de la Terre) ; ce mouvement se fait en accord avec les lois de la mécanique dans un carré petit, moins de 20 mètres sur 20, ce qui permet de définir un pôle moyen de rotation. Ce pôle moyen toutefois n’est pas fixe lui-même comme on peut le constater sur des observations et des analyses à long terme ; il se déplace lentement au cours du temps (à environ 4 millisecondes de degré d’arc par an, milliseconde de degré d’arc qui vaut environ 3 cm à la surface de la Terre) ; c'est un déplacement approximativement linéaire et de type séculaire, au départ en 1900 en direction du Groenland mais avec des sauts ou des variations brutales non négligeables au cours du temps (figure 5).

Figure 5 - Le mouvement du pôle et sa dérive (d’après l’IERS-Syrte-Observatoire de Paris). En rouge, le déplacement cyclique, d'une période de 430 jours environ, et en noir, le déplacement moyen.

On estime aujourd'hui que l’origine de la composante séculaire principale de ce mouvement est liée au lent rebond postglaciaire, et que les accidents apparemment chaotiques du mouvement sont dus surtout à des transferts de masse d'origine hydrologique entre continents et océans ou d'origine atmosphérique. Il faut retenir que tout transfert de masse quelle qu'en soit l'origine provoque un déplacement sur la croûte terrestre du pôle de l'axe principal d'inertie ; il est en effet directement fonction de la distribution des masses de la Terre ; mais il génère alors un déplacement relatif du pôle de cet axe principal d'inertie par rapport au pôle de l'axe instantané de rotation.

Pour entrer plus dans la compréhension détaillée de l'origine du mouvement du pôle à différentes échelles de temps, on doit considérer maintenant l'analyse des différentes composantes périodiques de ce mouvement. On peut déjà noter que depuis très longtemps les analyses sur la décomposition spectrale des coordonnées du pôle en fonction du temps ont permis de reconnaître (dès la fin du XIX éme siècle), les deux premiers termes périodiques prépondérants ; il y a d'abord un premier terme correspondant à un mouvement du pôle de type circulaire avec une période comprise entre 430 et 433 jours (en prenant en compte l'élasticité de la Terre) et une amplitude temporellement variable entre 30 et 300 millisecondes de degré d’arc ou milli-arcseconde- noté mas- (c’est le terme de Chandler mis en évidence par Chandler) ; ensuite, il y a un second terme avec une période annuelle et une amplitude de l’ordre de 100 mas. Le terme de Chandler d’après les lois de la mécanique correspond à un mouvement «libre» qui se poursuit tout seul et dont l’amortissement peut se faire entre 15 et 75 ans (ce n’est pas encore bien connu avec précision aujourd'hui) ; cela permet d’affirmer l’existence de processus d'excitation générant des variations temporelles de l’amplitude et de la phase du terme de Chandler car par ailleurs l'amplitude de ce terme s'amortit ; il y a notamment les marées générées dans les régions polaires qui dissipent l'énergie associée à ce mouvement du pôle ; concernant l’origine des processus générant inversement des variations du terme de Chandler on a pensé pendant longtemps et avec raison qu’elle était à rechercher dans des phénomènes se produisant dans l’atmosphère et les océans. En revanche, le processus physique exact demeurait non certain et problématique ; on n’arrivait pas à modéliser correctement les variations observées du terme de Chandler. Cependant en 2000, Richard Gross (voir référence à la fin) proposa un processus physique qui apparut en revanche très intéressant et valable : l’origine serait à rechercher dans des variations de pression s’exerçant sur le fond des océans, variations causées par des variations de température et de salinité et par des variations de la circulation des océans générée par les vents. Il y aurait aussi une contribution liée aux variations de la pression atmosphérique sur la surface terrestre mais dont les effets seraient comparativement un peu plus petits dans le rapport deux tiers un tiers. Mais de manière plus récente Christian Bizouard (Bizouard et al., A&A, 526, A106, 2011) a encore repris la question en s’appuyant sur la modélisation de la circulation atmosphérique et océanique d’une part et une nouvelle estimation des composantes du terme chandlérien (amplitude et phase) d’autre part. Le résultat de Christian Bizouard est très convaincant et est encore confirmé dans son dernier ouvrage sur le mouvement du pôle (voir les figure 6 et la référence du livre de C.Bizouard à la fin).
Il est opportun de citer aussi une étude assez récente sur le phénomène El Niño (Marcus, S. L., O. de Viron, and J. O. Dickey (2010), Interannual atmospheric torque and El Niño–Southern Oscillation: Where is the polar motion signal?, J. Geophys. Res., 115, B12409, doi:10.1029/2010JB007524); cette étude va dans le même sens que les travaux cités précédemment et confirme la forte influence de El Niño sur la LOD comme on l' a dit plus hautj ; elle indique également une influence sensiblement moindre sur le mouvement du pôle. Ceci s’explique par la symétrie de la circulation atmosphérique par rapport à l’équateur, mais en revanche l’asymétrie des deux hémisphères Nord et Sud en relation avec leurs surfaces respectives de continents et d’océans conduit à donner une plus grande importance à l’action de l’océan et des transferts hydriques continents -océans pour comprendre le mouvement du pôle tel qu’il est observé; le mouvement du pôle est en effet plus sensible à une asymétrie des mouvements et des pressions exercée sur le fond des océans et sur les continents, comme cela ressort de l’étude de Richard Gross. A titre d’information, et sans entrer dans plus de détails, on peut ajouter que ces considérations sont importantes pour étudier la variabilité proprement dite du phénomène El Niño, qui a conduit à considérer deux types de El Niño avec leurs impacts différents sur la LOD et de ce fait à approfondir les relations entre les échanges atmosphère-océans et la rotation de la Terre.(de Viron, O., and J. O. Dickey, 2014, The two types of El Niño and their impacts on the length of day, Geophys. Res. Lett., 41, 3407–3412, doi:10.1002/2014GL059948)

Figure 6- Variations d’amplitude et de phase de l’oscillation du terme de Chandler observée et celle modélisée (d’après Christian Bizouard et al. , A et A, 526, 2011) exhibées sur les graphes de la partie supérieure.
Les graphes de la partie inférieure représentent respectivement le mouvement observé du pôle en trois dimensions (à gauche) et le terme de Chandler extrait du mouvement du pôle observé (à droite).

Tout cela montre que l’on peut désormais modéliser aujourd’hui les variations du terme de Chandler de manière très satisfaisante, et cela à partir de la modélisation de la circulation océanique et atmosphérique. Ce résultat n’invalide pas l’intérêt de poursuivre certaines autres recherches. Parmi les impacts possibles, on pense à certains événements sismiques exceptionnels liés à d'énormes déplacements de masse. Le terme annuel avec une amplitude de l’ordre de 100 mas correspond par contre clairement à un mouvement «forcé» par le déplacement saisonnier de masses atmosphériques et hydrologiques que l’on sait estimer.

Dans le détail, le mouvement du pôle doit se décrire aussi en incluant d’autres termes périodiques mais en général de plus petite amplitude comme on le voit aussi sur la figure 6, graphes inférieures. Il y a ainsi un terme du mouvement du pôle découvert par Markowitz correspondant approximativement à une périodicité de l’ordre de 25 ans et avec une amplitude de 15 à 20 mas. On met également en évidence d’autres variations de période comprise entre 10 et 15 ans mais avec encore des plus faibles amplitudes. Il existe enfin des variations avec des périodes encore plus courtes entre 200 jours et 10 ans et même encore plus courtes avec des périodes comprises entre 2 et 100 jours. L’origine de tous ces termes périodiques qui sont révélés par l’analyse de l’observation du mouvement du pôle n’est pas immédiate ; elle doit se trouver dans l’analyse parallèle des processus géophysiques d’échanges possibles de masse avec leurs constantes de temps et leurs périodes envisageables pour les différentes couches composant le système Terre ; les phénomènes à considérer sont essentiellement de nature atmosphérique, océanique, hydrologique ; on doit inclure aussi les relations impliquant les couches internes de la Terre, le noyau, le manteau.

Il importe dans la recherche et l’estimation des différentes causes d’excitation géophysique de retrancher au préalable tout ce qui est peut-être bien connu a priori, ainsi les termes dus aux marées océaniques, aux déformations de la Terre par les marées zonales, ou encore liés à l’existence du mode libre de l’axe de rotation due au noyau fluide de la Terre ; même si ces termes sont petits et nombreux, ils sont bien connus par la théorie et il faut les retrancher avant toute analyse sur les sources possibles d’excitation.

En conclusion tout transfert ou déplacement de masse à l'intérieur du système Terre quelle qu'en soit l'origine notamment météorologique ou climatologique provoque un déplacement du pôle d'inertie et donc aussi un déplacement relatif par rapport à lui du pôle de rotation. Pour interpréter et comprendre le mouvement du pôle, il est donc essentiel de pouvoir faire avec précision le bilan de ces transferts et déplacements des masses à toutes les échelles de temps et d'espace. La mission spatiale Grace (2002) va permettre d’évaluer ces transferts avec une précision jusqu’alors inégalée.

Une révolution en 2002 : Apport des données de la mission spatiale Grace (2002) pour la modélisation du mouvement du pôle.

Un point très important qui va dans le sens exprimé plus haut doit être maintenant souligné. Il est désormais possible d'avoir une bien meilleure prise en compte des transferts de masse d’origines diverses (calottes glaciaires, glaciers continentaux, hydrologie des bassins fluviaux, continents, océans) et cela sur des durées de quelques semaines ou de quelques années ; ces transferts sont mesurés à partir des données du satellite germano-américain Grace lancé en 2002. Ce satellite a pour objet la détermination du champ de gravité et de sa variation temporelle liée à des redistributions des masses de la Terre. Ces redistributions et ces transferts de masse sont liés notamment et à titre d’exemples à la fonte des glaces du Groenland et de l’Antarctique (qui répartit uniformément sur les océans des masses antérieurement confinées près des pôles) et aux transferts hydrologiques entre continents, bassins fluviaux et océans (qui, selon les épisodes de pluie ou de sécheresse, stocke ou libère de grandes quantités d'eau depuis les océans dans leur globalité vers les zones émergées concernées, ou inversement). En anglais, on parle de l’impact des variations du «Terrestrial Water Storage and Global Cryosphere Storage», voir l'article de Adhikira cité en référence à la fin. Ce faisant sur la période 2003-2015, il a été ainsi possible de manière remarquable de bien représenter le mouvement du pôle à partir de l’intégration des équations fondamentales de la rotation des corps ; on observe ainsi, d’après les auteurs cités en référence, que sur la période certes assez courte entre 2005 et 2011, que le mouvement du pôle moyen suit sur cette durée une tendance distincte de la dérive séculaire moyenne du mouvement du pôle observée et admise depuis 1900 jusqu’alors (figure 5) ; elle pourrait avoir changé de direction en lien avec les phénomènes géophysiques évoqués plus haut (phénomènes météorologiques et climatiques). Il faut noter que dans le passé on a déjà observé de telles fluctuations et le mouvement du pôle moyen a toujours eu un aspect un peu erratique mais on ne savait pas très bien s’il s'agissait d'une réalité ou d’incertitude dans les données et dans leur traitement. Ce qui est en fait le plus intéressant ici est désormais la possibilité aujourd’hui de reproduire avec grande précision, le mouvement du pôle moyen grâce aux données de la mission Grace ; il faut noter la grande importance des transferts de masse entre océans, bassins fluviaux et calottes glaciaires. Cela peut remettre en cause l’importance peut-être surestimée ou mal estimée d’autres processus comme les interactions noyau-manteau. Les données de Grace et des observations associées comme les données laser sur Lageos apparaissent désormais fondamentales et à prendre obligatoirement en compte pour toute interprétation des phénomènes. Tout n’est pas encore évidemment compris, loin de là et des recherches sont à poursuivre.
Mais il convient surtout ne pas arrêter les observations des paramètres de la rotation terrestres qui sont à poursuivre plus que jamais sur le très long terme, tout comme aussi l’observation spatiale des nombreux paramètres géophysiques par satellite pouvant jouer un rôle dans la rotation de la Terre.

Conclusion et perspectives

Des progrès très importants ont été faits dans la mesure des paramètres de la rotation terrestre à partir de toutes les techniques spatiales (GPS/GNSS, Doris, Laser, VlBI).

Dans la modélisation des paramètres de la rotation de la Terre, il faut distinguer les composantes astronomiques, généralement très bien connues, des composantes géophysiques (météorologiques, atmosphériques, climatologiques, océanographiques, hydrologiques) plus difficiles à prévoir, voire imprévisibles.

On sait traduire avec une grande précision l'effet d'un changement de régime des vents sur la durée du jour. Mais on ne sait pas calculer ce changement de régime des vents d'après une variation de la durée du jour, car comme on l'a vu, trop de phénomènes géophysiques interviennent.

Par contre, on sait de mieux en mieux observer ces phénomènes et les mesurer grâce aux nouvelles techniques spatiales (satellites météorologiques type Météosat, satellites altimétriques et océanographiques type Jason, satellites dédiés à l’étude champ de gravité - satellites Grace et Lageos –satellites dédiés à l’environnement terrestre et solaire qui est aussi à prendre en compte à travers des phénomènes climatiques).

Ces connaissances, en constante amélioration, permettent de comprendre de mieux en mieux les changements qui interviennent dans le système Terre et leurs conséquences sur sa rotation.

Les interactions noyau-manteau avec leurs implications dans la rotation de la Terre demeurent encore difficiles à appréhender, mais les satellites dédiés à l’étude du champ magnétique terrestre devraient pouvoir y contribuer en liaison avec les autres techniques géophysiques, comme la sismologie. Il y a un enrichissement réciproque de la connaissance entre les observations, l’interprétation des paramètres de la rotation terrestre, et les données géophysiques de toute origine.

Remerciements et reconnaissance

Beaucoup des explications et des informations données sont tirées d’un livre publié très récemment en 2017 par le Bureau des longitudes «Les Références de Temps et d’Espace, un panorama encyclopédique : Histoire, Présent, et Perspectives», coordonné par Claude Boucher avec le concours de Pascal Willis, chez Hermann, 2017.
On a puisé tout particulièrement des informations et des références dans les chapitres portant sur la Rotation de la Terre rédigés par Nicole Capitaine du Bureau des longitudes et de l’Observatoire de Paris (département du Syrte). On doit aussi indiquer une synthèse extrêmement détaillée du sujet avec tous ses aspects historiques par Kurt Lambeck en 1980 «The Earth’s variable rotation: geophysical causes and consequences, Cambridge University Press,1980» et une autre plus récente par Helmut Moritz et Ivan Mueller «Earth rotation, theory and observation, the ungar ublishing company, 1987».
À noter l’article de Richard Gross «The excitation of the Chandler wobble», Geophys. Res. Lett., vol 27, 15, 2000, p 2329-2332».
Il faut signaler aussi l’article «Climate-driven polar motion 2003-2015» dans «Advances Sciences» du 8 avril 2016 par Adhikira et al. et portant sur la prise en compte des données du satellite Grace et encore l'ouvrage par Anny Cazenave et Kurt Feigl «Formes et mouvements de la Terre, satellites et géodésie, la croisée des sciences», CNRS éditions -Belin- 1994.
Beaucoup des figures sont tirées de l’IERS, Service de l’Observatoire de Paris, département du Syrte sous la responsabilité de Christian Bizouard ainsi que de son article «C.Bizouard et al., 526, A106 (2011)» mais voir finalement aussi beaucoup d’informations et des figures dans le livre «Le mouvement du pôle de l’heure au siècle, Modélisation géophysique» par Christian Bizouard, édition paf, Presses académiques francophones, 2014.

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