FAQ - Climat
Le hiatus existe-t-il vraiment ?
Jacques Merle - Avril 2016
La température moyenne de la surface de la Terre est, avec l’élévation du niveau moyen des océans, l’indicateur le plus pertinent du réchauffement climatique observé depuis le début de l’ère industrielle (aux environ de 1850), période où les premières mesures physiques de température ont été réalisées en routine par les services météorologiques pour les besoins de la prévision du temps.
La communauté scientifique et le GIEC estiment que, depuis cette époque, le réchauffement est d’environ 0,8 °C. Cependant cet accroissement n’est pas uniforme, il présente une variabilité interannuelle importante et, surtout, il est marqué à long terme par des périodes prolongées où la température se stabilise ou même décroît pendant plusieurs décennies comme ce fut le cas entre 1940 et 1970. Plus récemment, depuis 1998, on observe une évolution semblable de la température de surface qui semble se stabiliser et marquer une pause, appelée généralement par les scientifiques et les media le «Hiatus» ou encore «La pause».
Ce ralentissement thermique est déconnecté de l’accroissement des émissions anthropiques de Gaz à Effet de Serre (GES), tels que le dioxyde de carbone et le méthane. Les taux d’émissions de ces GES se maintiennent et même s’accroissent régulièrement pour atteindre maintenant (en 2015) dans l’atmosphère les valeurs les plus élevés que l’on ait pu observer depuis un million d’années, dépassant 400 ppm (parties par million). Comment alors expliquer cette absence momentanée de réponse thermique au forçage des GES, s’ils sont bien la cause du changement climatique ? Cette question est surtout brandie par des sceptiques qui voient là une occasion de semer le doute sur la réalité de la cause humaine du réchauffement actuel, mais elle touche presque tous les domaines de l’océanographie physique étant au cœur de l’interaction des deux enveloppes fluides qui entourent la Terre et dans laquelle nous vivons.
Bien que les années 2014 et 2015 aient vu la reprise de la hausse de la
température moyenne globale, ce hiatus thermique a suscité, et suscite encore
en 2016, beaucoup de questions et de débats et alimente des controverses
pouvant atteindre les milieux gouvernementaux de certains pays, comme récemment
aux États Unis. Les «Climato-sceptiques», certes de
plus en plus minoritaires, se sont jetés sur cet apparent événement qui
démontrait, à leurs yeux, l’origine incomprise et donc naturelle plutôt
qu'anthropique du réchauffement climatique. La vigueur de ces débats a suscité
plusieurs centaines d’études qui se sont exprimées par des publications de
qualité inégale mais touchant à de multiples domaines de la question climatique
et impliquant principalement l’océan et l’atmosphère. Presque tous les sujets
de recherche touchant aux relations entre ces deux milieux ont été abordés. Ils
peuvent se résumer par la question : Comment l’océan absorbe et redistribue la
chaleur générée dans l’atmosphère par les GES anthropiques ?
Pour répondre à cette question générale un large éventail de questions
secondaires se pose et détermine autant de chapitres :
- Le hiatus existe-t-il vraiment ?
- Quel est le rôle des forçages naturels comme le soleil ?
- Quel est le rôle de la redistribution horizontale de chaleur par l’océan ?
- Que sait-on du rôle de l’océan profond et du bilan énergétique de la Terre ?
- Pourquoi cette question du hiatus a-t-elle pris une dimension politique ?
- Que conclure ?
Cette étude n’est pas une synthèse exhaustive de tous les points de vue scientifiques particuliers exprimés sur le sujet. On rassemble seulement les articles les plus significatifs exprimant un aspect de ce phénomène. Plus qu’un «review paper», c’est une invitation à la lecture à partir de références classées dont il s’agit. Dans chaque chapitre les articles sont classés dans l’ordre de leur citation dans le texte.
1. Le hiatus existe-t-il vraiment ?
Le hiatus a commencé à être détecté et à intriguer la communauté scientifique autour des années 2010 où il devint visuellement apparent sur les courbes d’évolution de la température moyenne à la surface de la Terre (Fig 1). C’est probablement un article de Kevin Trenberth ( 1 - Trenberth 2009), dans lequel il évoquait la possibilité d’un refroidissement temporaire de la température de surface de l’océan et mettait en cause la méconnaissance que l’on avait du bilan énergétique de la Terre, qui alerta la communauté scientifique et prit rapidement une dimension polémique . Le graphique semblait montrer, depuis le pic thermique de 1998 consécutif à un puissant «El Niño», qualifié parfois de l’El Niño du siècle, un ralentissement du réchauffement, toujours en cours au moment de sa mise en évidence. Rapidement, autour de l’année 2010, deux camps s’opposèrent :
- Ceux qui s’interrogeaient sur des biais possibles introduits par des changements dans les instruments d’observation et avaient tendance à nier l’existence du hiatus.
- Ceux pour qui, au contraire, l’absence de corrélation apparente entre les concentrations de GES et la température était la preuve que le réchauffement n’était pas d’origine anthropique et s’acharnaient à clamer auprès des media la réalité de l’origine naturelle de ce hiatus.
Parmi la première catégorie, la réaction de certains auteurs fut donc de mettre en doute et de corriger l’existence même de ce ralentissement du réchauffement en prenant en compte des biais possibles qui auraient été introduits par des changements d’instruments d’observation au cours du temps (2 -Lijing and Zhu 2014) ( 3 - Lyman and johnson 2014), ( 4 - Karl et al 2015). Ce dernier article de Karl et al est à l’origine d’une polémique entre des membres du sénat américain et la NOAA, évoqué plus en détail chapitre 5. D’autres auteurs ont tenté par des analyses statistiques poussées de mettre en évidence une éventuelle rupture dans la série temporelle qui matérialiserait le hiatus. Toutes ont échoué ( 5 - Foster and Abraham 2015) ( 6 - Rajaratnam et al 2015). C’est ce qui amena T. Mann ( 7 - Mann 2015) a évoquer : « le fantasme» de la pause climatique et à demander de bannir les termes de hiatus et de pause !
D'autre part, les changements dans l’instrumentation ont été
particulièrement marqués par le déploiement du réseau d’observations autonomes
ARGO qui rend
accessible à l’observation, à partir de 1998 justement, des régions jusqu’ici
mal échantillonnées comme une partie de l’hémisphère sud et les régions
polaires ( 8
- Wendel 2015). Avant ARGO la température de surface des océans était
principalement estimée in situ à partir des observations des équipages des
navires de commerce, avant que les observations spatiales, à partir des années
1970, apportent des données plus homogènes. Cependant cette connaissance de la
température de surface de l’océan souffrit longtemps de son sous
échantillonnage dans les mers du Sud et au voisinage des pôles que ARGO combla.
ARGO délivre aussi une précieuse information sur l’océan profond (jusqu'à 2 000
mètres de profondeur) permettant d’estimer l’évolution du contenu thermique de
l’océan par couches. ARGO a ainsi permis de comparer la répartition de la
chaleur dans différentes couches sur la verticale avec la température de
surface et de les confronter à des simulations de modèles. C’est ce que fit (9
– Meehl et al 2011) dans un des premiers articles à l’origine du questionnement
sur le hiatus. À l’aide d’un modèle et de données Meehl montra que durant les
périodes de ralentissement de l’accroissement de la température en surface
(hiatus), la couche océanique des 300 premiers mètres absorbait moins de
chaleur que les couches plus profondes, ce qui indiquait que le déficit
thermique en surface était dû à une plongée rapide de la chaleur dans les
profondeurs. Mais Durack (10 – Durack et al 2014) au contraire, montra, à
partir d’observations satellites, que le réchauffement des 700 premiers mètres
de l’océan est considérablement sous-estimé depuis 1970. En conséquence,
d’après cet auteur, le hiatus apparent n’est qu’une conséquence de cette
sous-estimation dû à un faible échantillonnage de l’hémisphère sud et à des
méthodes d’extrapolation trop simplistes.
Les observations profondes d’ARGO ont permis de mieux estimer l’évolution du
contenu thermique de l’océan par tranches d’eau, (11- Roemmich et al 2006) et
ainsi de corriger des biais dus aux profondeur maximales atteintes par les
instruments de mesure antérieurs, qui ont évolué au cours du temps et sont à
l’origine d’erreurs importantes dans le contenu thermique. De plus les méthodes
d’interpolation trop sommaires des régions sous échantillonnées, affectent
aussi considérablement l’estimation du contenu thermique et sa variabilité.
Dans la deuxième catégorie on trouve des auteurs niant le ralentissement du
réchauffement. Certains, prenant en compte le contenu thermique, cherchent à
mettre en évidence une rupture statistique dans la série temporelle marquant
l’évolution de la température. Peu de publications cependant montrent un hiatus
marqué qui serait en désaccord avec les taux d’émissions de carbone fossile. Ce
sont principalement des articles de presse, non répertoriés ici, qui rapportent
les propos de scientifiques sceptiques quant à l’origine humaine du
réchauffement. Ces opposants se manifestent principalement en tentant de
montrer la prévalence des forçages naturels, notamment celle du Soleil, pour
expliquer l’évolution de la température, incluant le réchauffement et sa
pause.
1 - Trenberth K. «An
imperative for climate change planning : tracking Earth global energy»,
Current Opinion in Environmental Sustainability, 2009
2 - Lijing Cheng and Jiang Zhu : «Artifacts
in variations of ocean heat content induced by the observation system
changes», JRL, 2014.
3 - Lyman JM. And GC. Johnson : «Estimating Global Ocean Heat Content
changes in the Upper 1800 m since 1950 and the influence of Climatology
Choise», Journal of Climatology, 2014.
4 - Karl T. et al : «Possible
artifacts of data biases in the recent global surface warming hiatus»,
Science Express Reports, 2015.
5 - Foster G. and J. Abraham : «Lack
of evidence for a slowdown in global temperature», US CLIVAR
Variations, 2015.
6 – Rajaratman B. et al : «Debunking the
climate hiatus«, Climatic Change, 2015.
7 - Mann T. : «Le fantasme de la pause climatique», Revue Pour la
Science, 2015.
8 - Wendel J. : «Global
Warming « hiatus » Never Happened Study says», Eos, 2015.
9 - Meehl G A : «Model-based evidence of deep-ocean heat uptake
during surface-temperature hiatus period», Nature Climate Change, 2011.
10 - Durack P. J. et al : «Quantifying underestimates of long term
upper-ocean warming», Nature Climate Change, 2014.
11 - Roemmich D. : «Unabated planetary warming and its ocean structure
since 2006», Nature climate change, 2015.
2. Quel est le rôle des forçages naturels, tel que le soleil, pour expliquer le réchauffement et le hiatus ?
La question du rôle du Soleil dans le changement climatique actuel a été
posée depuis le début de la prise de conscience de l’instabilité climatique, il
y a plus de 40 ans. Une frange importante de scientifiques des sciences de
l’environnement n’était pas convaincue de la responsabilité de l’homme dans le
changement climatique. Ils partaient du principe que le Soleil a joué un rôle
dans les variations climatiques à l’échelle des siècles, tels que l’optimum
médiéval chaud (900 – 1 400 AD) du moyen-âge et le petit âge glaciaire qui a
suivi (1 500 – 1 800 AD), et ils mettaient en avant des causes externes
naturelles susceptibles de l’expliquer, comme surtout, le Soleil, et aussi
l’activité volcanique, et les aérosols. En France les plus ardents
propagandistes du rôle du Soleil dans le réchauffement climatique sont
Vincent Courtillot et Jean Louis Le Moël. D’autres auteurs
admettent l’influence du Soleil mais l’estiment mineure. Le débat est toujours
en cours.
Après un article initial (1
- Bard et Frank 2006) alertant la communauté scientifique sur le
rôle possible du Soleil sur la variabilité du climat, on peut distinguer deux
catégories d’articles :
- Les tenants d’une influence déterminante du Soleil sur la variabilité du climat ;
- Les tenants d’une faible influence du Soleil sur le réchauffement climatique.
Parmi les tenants d’une influence déterminante du Soleil dans la variabilité du climat, une frange importante de scientifiques opérant dans les sciences de l’environnement n’est pas convaincue de la responsabilité de l’homme dans le changement climatique. Ils mettent en avant des causes externes naturelles susceptibles d’expliquer cette variabilité. Il est vrai que l’activité volcanique, les aérosols et surtout le Soleil ont une influence sur cette variabilité climatique. Ces partisans du tout Soleil sur la variabilité du climat (2 - Courtillot et al 2007), ( 3 - J-L Le Moël et al 2009), ( 4 - Scafetta et B. West 2008), ( 5 - A. Shapiro et al 2011) expliquent le hiatus actuel par le déclin de l'activité solaire, qui est à son plus bas niveau. En particulier V. Courtillot et ses coauteurs, dont Jean-Louis Le Moël, invoquent des corrélations entre des paramètres climatiques et les variations du magnétisme terrestre. Ils distinguent plusieurs échelles temporelles de variations, depuis l'échelle historique (10 - 100 ans), jusqu'à des échelles archéologiques (100 - 5000 ans) et (10 000 – 1 million d’années). Ils constatent aussi que les variations d'amplitude du géomagnétisme à l'échelle décennale sont fortement corrélées avec les évolutions du rayonnement solaire global et la température moyenne de la terre. Ils en concluent que le rayonnement solaire a été le forçage principal du climat jusqu'au milieu de la décennie 1980 où un réchauffement climatique très marqué supplémentaire s’est manifesté, le réchauffement anthropique actuel.
Parmi les auteurs, qui reconnaissent une influence du Soleil, mais la jugent
très minoritaire on peut citer : ( 6 - Foucal et al 2006), ( 7 -
Duffy et al 2006), ( 8 - A. Shurer et al 2013), ( 9 -
Stauning 2011), (10 Stauning
2015)
Pour Foukal et al les variations de la luminosité globale sont trop
faibles pour avoir accéléré le réchauffement global tel qui est observé
aujourd’hui. Cependant une analyse approfondie de ces données d’observations
spatiales détaillées a permis de faire avancer considérablement les
connaissances fondamentales sur les changements de la luminosité solaire. Ces
résultats nouveaux indiquent qu’il est peu vraisemblable que les changements de
luminosité aient eu une influence déterminante sur le réchauffement global
constaté depuis le 19ème siècle. Cependant Foukal reconnaît que des
inconnues subsistent concernant le rôle de la partie ultraviolette du spectre
et l’influence de la magnétosphère.
Pour Schurer et al, le climat du dernier millénaire a été marqué, dans
l’hémisphère nord, par des variations d’échelles décennales et centennales
telles que le maximum thermique médiéval autour de l'an mil et le petit âge
glaciaire à la fin du Moyen Âge. Un modèle permet de comparer l'empreinte
climatique des périodes de hauts et de bas forçage solaire avec l’amplitude du
changement thermique. Les auteurs trouvent que les changements de température
de l'hémisphère Nord au cours du dernier millénaire n'ont pas été fortement
influencés par les variations du flux radiatif solaire. Au contraire, depuis
1900, ce sont les éruptions volcaniques qui semblent avoir été le paramètre le
plus important susceptible d'influencer le climat, et ceci dans le sens d’un
refroidissement.
Quant à Stauning, il a confirmé qu'il existe bien une corrélation entre
le nombre de taches solaires et la température moyenne du globe. Cette
corrélation est maximale avec un décalage de trois années dans la série des
températures. Stauning démontre que la réduction de l'accroissement des
températures observée depuis 1980 correspond au déclin de l'activité solaire
actuelle. Sans cette réduction de l’activité solaire, la température moyenne du
globe se serait élevée continûment au même taux que dans les années 1980.
L'activité solaire est maintenant (en 2015) à son plus bas niveau depuis près
d’un siècle et elle ne peut probablement pas baisser encore plus ; aussi, nous
dit Stauning, la température moyenne de la terre va probablement
rattraper son niveau d'accroissement d'avant 1980, effaçant ainsi le hiatus ;
ce qui s’est produit à partir de 2015.
1 - Bard E. et M. Frank : «Climate change and solar variability :
What’s new under the Sun ?», Earth and Planetary Sciences Letters, 2006.
2 - Courtillot V. et al : «Are there connections between the earth
’s magnetic field and climate», Earth and Planetary Science Letter, 2007
3 - Scafetta V. et B. West : «Is climate sensitive to solar
variability»,
4 - Le Moël et al : «Evidence for solar forcing in variability of
temperature and pressure in Europe», Journal of Atmospheric and
Solar-terrestrial Physics, 2009.
5 - Shapiro A.I. et al : «A new
approach to the long-term reconstruction of the solar irradiance leads to large
historical forcing», Astronomy and Astrophysics, 2011.
6 - Foukal P. et al, «Variation in solar luminosity and their effect
on the Earth’s climate», Nature, 2006.
7 - Duffy P. B. et al : «Solar variability does not explain
late-20th-century warming», Physics Today, 2009.
8 - Schurer A et al : «Small influence of solar variability on
climate over the past millennium», Nature Geoscience, 2013.
9 - Stauning P. : «Solar activity-climate relations : A different
approach», Journal of atmospheric and solar-terrestrial physics, 2011.
10 - Stauning P. : «Reduced solar
activity disguises Global Temperature Rise», Atmospheric and Climat
Sciences, 2013.
3. Quel est le rôle de la redistribution horizontale de la chaleur par l’océan ?
Plusieurs dizaines d’articles se penchent sur les relations entre le réchauffement de la surface terrestre avec son hiatus et les oscillations thermiques, de périodes décennales, qui affectent principalement l’océan Pacifique. C’est ( 1 - Meehl et al 2013) qui ouvrent le débat avec un modèle qui leur permet de distinguer dans la variabilité du climat des causes externes et des causes internes au système climatique. Meelh indique que les périodes de baisse du réchauffement (hiatus) correspondent à la phase froide de la PDO « Pacific Decadal Oscillation ». ( 2 - Watanabe et al 2014) poursuivent dans ce sens en montrant que le hiatus est en relation avec la PDO et avec le refroidissement du Pacifique équatorial oriental lui-même généré par un renforcement des alizés. Cette relation entre le hiatus et le refroidissement du Pacifique équatorial en relation avec la PDO, les alizés et la circulation atmosphérique de Walker est étudiée par plusieurs auteurs : ( 3 - England et al 2014), ( 4 - Kosaka et Xie 2013 et 2015), ( 5 - Tokinaga et al 2012). Ils donnent une priorité au Pacifique et à l’intensification de la cellule de Walker pour expliquer le hiatus, ( 6 - Capotondi 2015) allant jusqu’à prévoir des décennies froides (La Niña) plus fréquentes et plus intenses ( 7 - Clement et Dinezio 2014). ( 8 - Kosaka et Xie 2013 ) avaient déjà noté en 2012 que le hiatus était consécutif à l’énorme El Niño de 1997 – 1998 suivi par une décennie beaucoup plus fraîche ( La Niña). Au contraire ( 9 - Tokinaga et al 2012) avaient montré qu’a l’échelle du siècle, depuis 1950, une tendance à l’affaiblissement de la circulation de Walker était nette. D’autres encore mettent en évidence les relations entre le hiatus avec l’océan Pacifique mais aussi l’océan Atlantique ( 10 - Mac Gregor et al 2014), ( 11 - Steinman et al 2015), ( 12 - Gleisner et al) et l’océan Indien (13 - Lee et al 2015), ( 14 - Vialard 2015), ( 15 - Nives et al 2015)
1 - Meehl A. et al : «Externaly forced and internally generated
decadal climate variability associated with the Interdecadal Pocific
Oscillation», Journal of climate, 2013.
2 - Watanabe M. et al : «Contribution of natural decadal variability
to global warming acceleration and hiatus», Nature Climate Change, 2014
3 - England M. H. et al : «Recent intensification of wind-driven
circulation in the Pacific and the ongoing warming hiatus», Nature Climate
Change, 2014.
4 - Kosaka Y. and S. Xie : «Recent global- warming hiatus tied to
equatorial Pacific surface cooling», Nature, 2013.
5 - Douville H. et al : «The recent global warming hiatus : What is
the role of Pacific variability ?», GRL, 20155 –
6 - Capotondi A. : «Extreme La Nina events to increase», Nature
Climate Change, 2015.
7 - Clement A. and P. Dinezio : «The
tropical Pacific Ocean back in the driver seat», Science, 2014.
8 - Kosaka Y. and S. Xie : «Tropical Pacific influence on the recent
hiatus in surface global warming», US CLIVAR Variations, 2015.
9 - Tokinaga H. et al : «Slowdown of the Walker circulation driven by
tropical Indo-Pacific warming , Nature, 2012.
10 - Mc Gregor S. et al : «Recent Walker circulation strengthening
and Pacific cooling amplified by Atlantic warming», Nature Climate Change,
2014.
11 - Steinman B. et al : «Atlantic
and Pacific multidecadal oscillation and northern hemisphere
temperature», Science, 2015.
12 - Gleisner H. et al : «Recent global warming hiatus dominated by
low-latitude temperature trends in surface and troposphere data», GRL,
2014.
13 - Lee S. K. et al : «Pacific origin of the abrupt increase in
Indian Ocean heat content during the warming hiatus», Nature Geoscience,
2015.
14 - Vialard J. : «Hiatus heat in the Indian Ocean», Nature
Geoscience, 2015.
15 - Nieves V., J. Willis and W. Patzert : «Recent hiatus caused by
decadal shift in Indo-Pacific heating», Sciencexpress, 2015.
4. Que sait-t-on du rôle de l’océan profond et du bilan énergétique de la Terre ?
Il y a seulement 30 ans les observations de l’océan profond (au-delà de
1 000 mètres de profondeur) étaient rares. Depuis cette époque le programme
international WOCE (World Ocean Circulation Experiment) a partiellement comblé
cette lacune. Mais le progrès le plus décisif a été obtenu avec le réseau ARGO
qui maintenant permet d’obtenir une bonne couverture de l’océan mondial jusqu’à
une profondeur de 2000 m.
On a déjà noté chapitre 3 ( 9 - Meelh et al 2011) que c’est probablement
Meelh qui le premier montra, avec des données et à l’aide d’un modèle,
que sous le forçage d’un flux de un Watt par mètre carré au sommet de
l’atmosphère, la couche océanique des 300 premiers mètres absorbait moins de
chaleur que la couche plus profonde durant les périodes de ralentissement ou
d’inversion du réchauffement (hiatus). Le déficit thermique de la surface
serait donc dû à une plongée rapide de la chaleur dans les couches plus
profondes lors des épisodes de hiatus. Plusieurs auteurs s’engagèrent dans
cette direction de recherche et tentèrent d’évaluer à quelles profondeurs et où
la chaleur qui manquait en surface s’était stockée plus profondément durant un
hiatus ( 1
- Chen et Tung 2014), ( 2 - Balmaseda et al 2013). Une
synthèse de cette question fut donnée par ( 3 - Purkey et al 2015).
Mais certains auteurs ne détectent pas cette plongée rapide de la chaleur au
détriment de la couche superficielle durant un hiatus ( 4 - Liovel et al
2014), ( 5
- Cole et Buis 2014), ( 6
- Foster et Abraham 2015). Ils mettent en évidence la difficulté de
mesurer avec précision le contenu thermique des couches profondes de l’océan,
qui nécessiterait des observations de température approchant le millième de
degré C.
C’est ce qui amène certains, et parmi eux principalement encore Kevin
Trenberth, à s’interroger sur l’irritante question de la chaleur manquante
dans le bilan énergétique de la Terre. La question fut posée dès que le hiatus
fut mis en évidence ( 7
- Trenberth et Fasullo 2011), mais elle prit toute son importance
lorsque l’actualité projeta le hiatus à la une des media (8 -
Hansen et al 2011), ( 9 - Schmidt et al 2014), ( 10 -
Tollefson 2014), ( 11 - Johnson et Lyman 2014), et encore ( 12
- Trenberth et al 2014).
1 . Chen X. and Tung K.K. : «Varying
planetary heat sink led to global warming slowdown and acceleration»,
Science, 2014)
2 . Balmaseda MA. KE. Trenberth, E. Källen : «Distinctive climate
signals in reanalysis of global ocean heat content», AGU, 2013
3 . Purkey S. et al : «Warming the abyss : The deep ocean’s
contribution to global warming», US Clivar Variations, 2015.
4 . Liovel W. et al : «Deep-ocean contribution to sea level and
energy budget not detectable over the past decade», Nature Climate Change,
2014.
5 . Cole S. and A. Buis : «NASA
study finds Earth’s ocean Abyss has not warmed», NASA News, 2014.
6 . Foster G. and J. Abraham : «Lack
of evidence for a slowdown in global temperature», US CLIVAR
Variations, 2015.
7 . Trenberth KE. And JT Fasullo «Tracking
Earth’s energy : from El Nino to global warming», Surv Geophys,
2011.
8 . Hansen J. et al : «Earth’s
energy imbalance and implications», Atmospheric Chemistry and Physics,
2011.
9 . Schmidt GA. et al : «Reconcilling warming trends», Nature
Geoscience, 2014.
10 . Tollefson J. : «The case of the missing heat», Nature,
2014.
11 . Johnson GC. And JM. Lyman : «Where’s the heat ?», Nature
Climate Change, 2014.
12 . Trenberth K. et al : «Earth
energy imbalance», Journal of Climate, 2014.
5. Le hiatus prend une dimension politique inattendue
Le président du comité scientifique du Congrès américain «Committee on
Science, Space and Technology – US House of Reptesentatives» s’est ému de
la publication d’un article, déjà mentionné chapitre 1 (4 - Karl et al,
2015), mettant en évidence une sous-estimation dans le dernier rapport du GIEC
du réchauffement à travers une ré-analyse de l’ensemble des données de
température de la surface de la Terre. Karl, chercheur à la NOAA, a
produit un nouveau jeu de données corrigé, et conclut de cette analyse que ces
résultats ne soutiennent pas la notion de “slowdown” de la croissance de
la température. En d’autres termes, pour Karl (?), et en réponse aux
interrogations posées par une partie de la communauté scientifique, le hiatus
n’existe pas.
Cette affirmation a soulevé une tempête parmi les scientifiques proches des
lobby soutenant l’exploitation des énergies fossiles carbonatées. D’où une
demande de clarification de la part du président de ce comité scientifique du
congrès auprès de la présidente de la NOAA, exigeant la délivrance des données
brutes (ce qui n’est pas coutumier dans le milieu scientifique), avant leur
retraitement par Karl soupçonné de manipulation illicites de données.
L’affaire a fait grand bruit aux USA au sein du congrès et dans les media. En
janvier 2016 elle n’est toujours pas éteinte.
6 . Conclusions
Les conclusions actuelles (décembre 2015) sur le hiatus peuvent être reprises de celles des deux scientifiques les plus en pointe sur la question, Kevin Trenberth et Gerald Meehl et résumées ainsi :
Trenberth fait le point des connaissances à la mi-2015 sur la question du hiatus. Il critique d’abord l’étude de Karl et al (chapitres 1 et 5) pour qui il n’y a pas de ralentissement perceptible de l’élévation de la température pour la période 2000-2014 si l’on prend en compte des jeux de données légèrement ajustés et corrigés de biais évidents appliqués à l’ensemble de la période 1950 – 1999.
Trenberth lui objecte que sa période de référence 1950 – 1999 inclut
une partie d’un hiatus plus ancien, bien marqué celui-là, appelé par certains
«The big hiatus» ayant affecté l’ensemble de la Terre au cours des
années 1940 à 1970. Trenberth note aussi malicieusement que l’existence du
hiatus des années 2000 dépend de la façon dont l’enregistrement des
températures est partitionné en incluant ou non dans la série temporelle
analysée l’année 1998 exceptionnellement chaude à la suite de l’El Niño de 1997-98 !
Pour Trenberth, la variabilité interannuelle de la température de
surface de la Terre est en partie pilotée par El Niño
et l’oscillation australe du Pacifique équatorial. L’année 1998 est la plus
chaude observée depuis que des enregistrements météorologiques physiques
existent (Cependant 2015 a été plus chaud que 1998), correspond à l’El Niño du siècle de 1997-98. Durant cet El Niño exceptionnel, les eaux chaudes couvrirent presque
entièrement la surface du Pacifique tropical et nourrirent l’atmosphère en
énergie sous forme de chaleur latente liée à l’intense évaporation. Cette
chaleur latente d’évaporation, prise à l’océan, contribua à le refroidir
durablement pendant plus de dix années, de 2000 à 2014, donnant au Pacifique
équatorial l’apparence d’un phénomène La Niña presque
permanent avec des alizés intensifiés.
Trenberth met ainsi en évidence une variabilité quasi décennale dans le Pacifique qui peut être rattachée à la PDO «Pacific Decadal Oscillation» elle-même intégrable dans l’IPO «lnterdecadal Pacific Oscillation». Ce refroidissement prolongé du Pacifique équatorial peut expliquer le refroidissement du hiatus. Pour Trenberth la PDO est l’élément essentiel qui pilote les deux hiatus connus du XXème siècle. On a vécu depuis 2000 le pôle négatif (froid dans le Pacifique équatorial) de la PDO. On entre maintenant, en 2015, avec le gigantesque El Niño qui se développe actuellement sur l’ensemble du Pacifique équatorial, dans un pôle chaud de la PDO, ce qui devrait définitivement éteindre dans l’immédiat toutes manifestations d’un improbable hiatus.
Trenberth règle aussi leur compte aux partisans des forçages externes et du tout Soleil qui, selon eux, serait susceptible d’expliquer le hiatus. Certes il admet qu’il existe des forçages externes qui peuvent contribuer à réduire le réchauffement anthropique comme les éruptions volcaniques, les aérosols et la variation naturelle du flux radiatif solaire. Mais, pour lui, leur contribution totale est minoritaire (moins de 20 %) et ces forçages peuvent jouer dans les deux sens. Ainsi, les aérosols émis dans l’atmosphère par l’activité industrielle très polluante des années 1945 – 1970 ont pu atténuer le flux radiatif solaire incident et freiner ainsi le réchauffement expliquant le hiatus 1945-1970. Mais, après les réglementations internationales prises à partir de 1970 dans les pays développés pour réduire leurs émissions d’aérosols, leur rôle joua dans l’autre sens.
Meehl présente une synthèse des connaissances (en 2015) sur la
variabilité de la température moyenne de surface de la Terre et le hiatus qui
complémentent les perspectives et les hypothèses de Trenberth exposées
précédemment. Incontestablement les variations à long terme (plus de 50 ans) de
cette température moyenne du globe sont dominées par le réchauffement induit
par les émissions de gaz à effet de serre de l’humanité. Cependant superposé à
cette tendance à long terme on observe une variabilité décennale illustrée par
le hiatus. Toutes les questions et les polémiques qui ont été soulevées pour
l’expliquer ont contribué à étudier et mieux comprendre cette échelle de
variabilité décennale. Meehl a pu mettre en évidence une relation entre
le hiatus et la phase négative de la PDO «Pacific Decadal Oscillation».
Lorsque celle-ci affecte le Pacifique équatorial par des températures un peu
inférieures à la moyenne, le taux d’accroissement de la température moyenne de
la surface de la Terre est moins élevé qu’en moyenne (0,11 degré C durant un
hiatus pour 0,18 degré C en moyenne générale depuis 1900). Généralisant ce
concept, Meehl l’applique à l’ensemble de la série temporelle disponible
et fiable, c'est-à-dire corrigée de ses biais dus aux évolutions des
instruments de mesure (principalement le réseau ARGO) et montre qu’il y a eu
dans le passé de nombreuses périodes où le taux d’élévation de la température a
ralenti étant marqué par une phase négative de la PDO.
Meehl note également que beaucoup d’efforts ont été déployés pour
trouver des explications à ces processus non seulement pour identifier une
composante décennale dans la variabilité du climat mais aussi et surtout pour
en comprendre le mécanisme profond. Certains auteurs, nous dit Meehl, ne
sont pas allé très loin au-delà d’une formulation très générale impliquant la
variabilité intrinsèque du système climatique pour expliquer les hiatus. Mais
Meehl lui-même a franchi un pas important en mettant en évidence, à
l’aide d’un modèle pour la première fois, que les décennies hiatus
correspondaient à un accroissement du contenu thermique des couches océaniques
au- dessous de 300 mètres de profondeur, alors qu’au-dessus le contenu
thermique diminuait, ce qui indiquerait que durant les périodes à hiatus il
existerait un enfouissement de la chaleur dans les profondeurs océaniques.
Un autre fait d’observation important est relatif à la répartition par océan de
cet enfouissement de la chaleur en profondeur. Les alizés du Pacifique sont
très intenses durant les pôles négatifs de la PDO comme ce fut le cas au cours
du hiatus 1998 – 2012, mais la quantité de chaleur qui est absorbée au-delà de
300 mètres de profondeur dans le Pacifique est seulement la moitié du total.
L’autre moitié serait absorbée par l’AMOC de l’océan Atlantique (Atlantic
Meridional Overturning Circulation), ainsi que par l’océan Indien sud et
l’océan austral. Meehl reconnaît que beaucoup d’inconnues demeurent
notamment en ce qui concerne la redistribution de la chaleur dans l’océan
profond et sa répartition par océan.
1 - Trenberth K. : «Has
there been a hiatus ?», Sciences, 2015.
2 - Meehl G. : «Decadal
climate variability and the early-2000s hiatus», US CLIVAR Variations,
2015.