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Yves Dandonneau

Afin d’exploiter la différence de température entre l’eau profonde et l’eau superficielle pour en retirer de l’énergie, on doit amener de l’eau froide, profonde, jusqu’à l’usine chargée d’effectuer cette transformation (centrale ETM pour «énergie thermique des mers»). Or, cette eau froide est riche en carbonates et en gaz carbonique, et elle présente donc, en cas de contact prolongé avec l'atmosphère, le risque d’émettre du gaz carbonique vers l’atmosphère, réduisant ainsi l’intérêt de cette source d’énergie puisqu’elle contribuerait elle aussi au réchauffement climatique global induit par l’effet de serre dû à ce gaz.

L’approche ci-dessous, combinant pompe physique et biologique, montre qu’il n’en est rien.

Que se passe-t-il si de l’eau profonde est portée en surface vers une centrale ETM ?

L’eau froide, riche en carbonates, a une pression partielle de gaz carbonique plus élevée que celle de l’atmosphère, et va donc émettre ce gaz vers l’atmosphère tant que la différence de pression partielle entre ces deux milieux ne se sera pas annulée. Pis, cette eau, exposée au rayonnement solaire, va se réchauffer ; or, pour une augmentation de 1 °C, la pression partielle de gaz carbonique de l’eau de mer augmente de 2,3 %. L’écart de température entre l’eau de surface et l’eau profonde requis pour un rendement satisfaisant d’une centrale ETM étant de l’ordre de 20 °C, une eau profonde dont la pression partielle de CO2 serait de l’ordre de 950 microatmosphères atteindrait ainsi, après avoir atteint la même température que l’eau de surface, une valeur proche de 1500 microatmosphères. L’évasion de gaz carbonique serait alors très intense.

Heureusement, l’eau profonde n’est pas seulement riche en carbonates, mais aussi en sels nutritifs. Ces derniers, en présence de lumière, favorisent une croissance végétale intense au cours de laquelle du carbone est fixé sous forme de matière organique, puis entraîné vers la profondeur avec les débris planctoniques. Ce processus tend à faire diminuer de façon importante la pression partielle de gaz carbonique, et tend donc à contrecarrer l’effet purement physique précédent.
Ces transformations prennent place dans un milieu océanique où les masses d’eau se répartissent en fonction de leur densité, c'est-à-dire, dans les régions favorables à l’exploitation de l’ETM (les centres des océans tropicaux), en fonction de leur température. Ainsi, l’eau froide, quelque peu réchauffée après usage, mais toujours plus dense que l’eau chaude de surface, tendra à rejoindre un nouveau niveau d’équilibre en profondeur.

Il est difficile d’estimer la quantité de CO2 qui serait émise vers l’atmosphère par l’ETM…

C’est seulement lorsque de l’eau originaire de la profondeur se trouve en surface qu’elle peut émettre du CO2 vers l’atmosphère. Le dégazage n’est donc théoriquement possible que pendant une courte période, avant que l’eau ne commence à s’enfoncer, ou du fait du mélange turbulent d’une partie de cette eau avec l’eau de surface. Notons que ce mélange doit être évité dans la mesure du possible, car il aurait pour conséquence de refroidir l’eau de surface au voisinage de la centrale ETM, et par conséquent d’en réduire le rendement. Certains projets prévoient d’ailleurs pour éviter cela de canaliser l’eau refroidie usagée par un tuyau jusqu’à sa nouvelle position d’équilibre à plusieurs dizaines de mètres de profondeur.
Au contraire, d’autres projets, nombreux, envisagent de garder en surface l’eau profonde après usage, afin de produire de la biomasse grâce à la lumière et aux sels nutritifs qu’elle contient. Dans de tels cas, on doit s’attendre dans un premier temps à un dégazage intense, puis, au fur à mesure que la photosynthèse piège le gaz carbonique, à une inversion du flux de CO2, vers l’eau mise en incubation en surface.
Enfin, la structure verticale de l’océan est légèrement modifiée par une centrale ETM, qui refroidit une partie de l’eau de surface et réchauffe une partie de l’eau profonde. Ceci peut avoir une incidence à long terme, difficile à évaluer, sur les mélanges verticaux auxquels est soumis l’océan.

mais il est facile d’en estimer la limite supérieure.

La concentration en carbone inorganique total (TCO2 = carbonates + bicarbonates +CO2gaz) des eaux de surface dans les régions favorables à l’ETM correspond à un état d’équilibre entre l’océan et l’atmosphère. Il s’agit d’eaux qui ont dérivé longtemps à la surface de l’océan, qui s’y sont réchauffées, et dépourvues de sels nutritifs car ceux-ci ont été incorporés via la photosynthèse dans des formes vivantes, devenues débris organiques, et qui ont sédimenté vers la profondeur. Elles représentent l’état vers lequel vont tendre les eaux profondes remontées en surface pour l’exploitation de l’ETM, au terme d’une évolution qui leur fera perdre une quantité de carbone en excès :

Cexcès = Cprof - Csurf

où Cprof et Csurf sont respectivement les concentrations en TCO2 de l’eau profonde et de l’eau de surface.

Une part de ce carbone en excès va cependant être fixée par l’activité biologique permise par les sels nutritifs, notamment les nitrates. L’élaboration de la matière vivante s’opère en utilisant en moyenne 6,8 moles de CO2 pour une mole de nitrate. Finalement, le carbone émis vers l’atmosphère sera donc :

Cémis = Cexcès – 6,8 Nitrateprof

Où Nitrateprof est la concentration en nitrate de l’eau à la profondeur où est puisée l’eau froide pour la centrale ETM.

Ce calcul simple effectué dans des régions où la température de l’eau de surface dépasse 25 °C, et en utilisant les concentrations en TCO2 et en nitrate (1) de l’eau profonde à une température inférieure à 5 °C, donne les résultats suivants :
 

 

Nombre de données

Potentiel d’émission de carbone

Atlantique nord

150

40 µmole kg-1

Atlantique sud

178

-65 µmole kg-1

Océan Indien

392

125 µmole kg-1

Pacifique nord est

49

131 µmole kg-1

Pacifique nord ouest

45

131 µmole kg-1

Pacifique sud est

143

38 µmole kg-1

Pacifique sud ouest

15

91 µmole kg-1

L’émission pour une production d’électricité de 1 MWh par une centrale ETM nécessitant 9 000 m3 d’eau profonde (2), serait donc, au maximum, de 16, -26, 50, 52, 52, 15 ou 36 kg de CO2 (3) selon les bassins océaniques.

Il est à noter que dans l’Atlantique sud, les gradients respectifs de nitrate et de TCO2 sont tels que l’exploitation de l’ETM y constituerait un puits potentiel de carbone pour l’atmosphère et non pas une source ?

Par comparaison, une centrale thermique fonctionnant au gaz émet au moins 500 kg de CO2 / MWh, et une centrale au fuel lourd en émet beaucoup plus. En fait, ces émissions maximales de l’ETM ne sont à considérer que dans les cas où l’eau froide serait gardée en surface pour produire de la biomasse. Dans le cas d’une centrale purement ETM, les émissions seraient beaucoup plus faibles.
L’approche ci-dessus est basée sur le couplage entre nitrates et carbone. Or, lorsque les nitrates ont été épuisés par la photosynthèse, il reste environ 0,2 µmole kg-1 de phosphates dans l’eau de mer. Certaines cyanobactéries marines photosynthétiques (en particulier, les Trichodesmiums, sont capables de fixer du carbone en l’absence de nitrates en utilisant l’azote atmosphérique. Les 0,2 µmole kg-1 de phosphate résiduel pourraient ainsi fixer 22 µmoleC kg-1, à déduire du tableau ci-dessus. Toutefois, la croissance de ces cyanobactéries est très lente, et n’épuise généralement pas la totalité des phosphates en surface. La concentration moyenne en phosphates dans les zones examinées reste en effet de l’ordre de 0,15 µmole kg-1.

  En synthèse :

Cette étude établit, pour la première fois à notre connaissance, les résultats suivants concernant le bilan carbone de l'ETM, selon de destin de l'eau froide profonde après usage :

  • en cycle fermé avec ré enfouissement naturel ou forcé, il n'y a aucun contact avec l'atmosphère et aucun risque de dégazage;
     

  • lorsque l'eau froide profonde est volontairement maintenue en surface après usage, et qu'elle a donc l'occasion de libérer dans l'atmosphère le CO2 qu'elle contient, l'effet de la pompe biologique est de réduire considérablement cet excès de gaz carbonique qui devient négligeable au regard de la production d'énergie par combustible fossile dans les zones tropicales;
     

  • dans l'Atlantique sud, compte tenu des gradients respectifs de nitrate et de TCO, l’exploitation de l’ETM constituerait même un puits potentiel de carbone.


(1) les données utilisées pour ces estimations sont celles archivées au CDIAC.  Retour

(2) Cette estimation est celle proposée dans l’ouvrage de William H. Avery et C. Wu : "Renewable Energy from the Ocean: A Guide to OTEC", Oxford University Press, New York. Elle est donnée ici à titre indicatif car elle dépend de nombreux facteurs tels que l’efficacité des échangeurs de chaleur, le choix du fluide de transfert etc… Retour

(3) Quantités obtenues en multipliant les chiffres du tableau par 9 106 (pour 9 000 m3) puis en les divisant par 106 (afin d’obtenir des moles de carbone) puis en multipliant par 44 10-3 (pour obtenir des kg de CO2). Retour  

 

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